Le 1er février 2017
Les États Généraux de la bande dessinée (EGBD) se sont réunis au sein de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (CIBDI) dans le cadre du Festival d’Angoulême 2017 pour évoquer la condition d’auteur de bande dessinée. L’occasion pour l’association de transmettre les résultats de leurs enquêtes auprès des auteurs.
Une rencontre a eu lieu au CIBDI sur le thème « Auteur de BD, une profession en danger ».
« Auteur de BD, une profession en danger » : le thème de la rencontre proposée par les EGBD dit bien l’inquiétude manifeste de la profession, sur laquelle professionnels et amateurs de bande dessinée feraient bien de s’attarder, tant les chiffres recueillis par l’association sont éloquents. En effet, les États Généraux de la bande dessinée ont lancé auprès des auteurs de bande dessinée (scénaristes, dessinateurs, coloristes) une vaste enquête à la fois quantitative, dont les résultats sont disponibles en ligne, et qualitative, toujours en cours, mais dont quelques éléments ont été transmis au public lors de cette rencontre. Cette dernière était animée par Benoît Peeters, président des EGBD, Valérie Mangin et Denis Bajram.
L’enquête quantitative a été menée de septembre à novembre 2015 : elle se fonde sur 1 469 réponses exploitables (sur environ 3 000 auteurs francophones). « Le questionnaire s’adressait à tous les auteurs de bande dessinée, qu’ils soient professionnels ou amateurs. Il visait à savoir qui ils sont, de la star reconnue mondialement à l’inconnu en devenir », rappelle l’association. Il s’agit de la base de données la plus importante jamais recueillie sur cette profession. Elle est à ce titre riche d’enseignements.
Si la profession est essentiellement masculine (73% d’hommes), plus on descend en classe d’âge, plus les femmes sont représentées, ce qui signifie que le monde de la bande dessinée se féminise progressivement. Il y a là une question de génération. La profession est jeune, puisque 56% des auteurs interrogés ont moins de 40 ans.
Les auteurs de bande dessinée sont plutôt issus des classes moyennes supérieures, et ont généralement fait des études (79% sont diplômés du supérieurs, le plus souvent dans un domaine artistique (environ la moitié), voire ont suivi une formation en bande dessinée. Bien que de mieux en mieux formés, les auteurs se considèrent à 53% comme « professionnels précaires », contre 32% comme des professionnels installés. La précarité des auteurs est en effet un point central révélé par cette enquête, tant les chiffres sont inquiétants. Si l’on se réfère aux barèmes de l’INSEE, on constate que 32% des auteurs de bande dessinée vivent sous le seuil de pauvreté, et que 52% vivent sous le SMIC annuel brut. De nombreux auteurs (71%) doivent cumulent leur activité avec un autre travail (enseignement, autre profession artistique) pour s’en sortir. Et la situation empire, puisque 34% des auteurs font part de revenus en baisse. On constate également une disparité de revenus entre hommes et femmes, 67% des auteures étant sous le SMIC annuel brut.
Photo d’illustration provenant du site des EGBD
La précarisation du métier est à lier à l’état du marché de l’édition de ce secteur, et 74% des auteurs sondés estiment qu’il y a une surproduction d’albums, si bien que 2/3 des livres sortent sans aucun plan marketing. Ces livres disposent d’une visibilité limitée, alors que la plupart des auteurs n’ont pas accès aux médias, en dehors de la presse quotidienne régionale. La télévision est la grande absente de la promotion de la bande dessinée : 7% des albums des auteurs sondés ont fait l’objet d’une promotion sur le petit écran.
Quatre groupes d’édition totalisent 77% des publications des auteurs sondés : Delcourt-Soleil (25%), Média-Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard - 22%), Madrigall (Gallimard, Futuropolis, Casterman - 15%) et Glénat (15%). Le marché de l’édition est restreint, si bien que les rapports de force sont en faveur de l’éditeur. Pourtant, les relations entre les auteurs et leur éditeur sont bonnes : 68% estiment entretenir de bons rapports avec leur(s) maison(s) d’édition.
L’enquête qualitative se fonde sur des entretiens d’environ 1h-1h30, avec l’aide du CIBDI et de sociologues, dont Pierre Nocerino. L’anonymat des auteurs a été préservé. On y apprend que les auteurs vivent essentiellement des avances sur droits, et touchent généralement peu de droits d’auteur à proprement parler. La tendance est à la diminution de ces avances sur droit, dans un marché devenu hyperconcurrentiel. Le forfait à la page a, quant à lui, pratiquement disparu : le format du « roman graphique » a fait baisser les montants de rémunération.
Les contrats entre auteur et éditeur sont de plus en plus complexes, avec une moyenne de 16 pages, dans un langage juridique extrêmement technique, les auteurs n’ayant pas toujours les armes pour les comprendre. Ils négocient peu les termes du contrat, alors qu’il n’existe que très peu d’agents pour les auteurs de bande dessinée - contrairement à d’autres professions artistiques.
L’enquête révèle également à quel point la profession d’auteur de bande dessinée est un artisanat patient, qui demande une grande assiduité, avec des horaires fixes et une grande rigueur. 36% des auteurs travaillent plus de 40 heures par semaine sur leur bande dessinée. Le métier est essentiellement artisanal, et les auteurs maîtrisent l’ensemble de la conception de leur œuvre, depuis le crayonné jusqu’à la numérisation des planches. La bande dessinée demande un investissement initial très faible - du papier et des crayons - mais elle est capable de proposer un imaginaire extraordinairement riche, capable de nourrir d’autres médias (cinéma, jeu vidéo).
Les enquêtes menées par les EGBD, avec toute la rigueur requise, dressent un constat lucide sur l’état de la profession, sans pour autant tomber dans un misérabilisme hors de propos ou dans une profession de foi corporatiste. La précarisation du métier doit interroger professionnels, lecteurs et pouvoirs publics sur l’avenir d’une profession en danger, et sur les moyens de remédier à une situation déjà critique pour une partie de la profession.
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Site des EGBD : http://www.etatsgenerauxbd.org
L’enquête auteurs : http://www.etatsgenerauxbd.org/etat-des-lieux/enquete-auteurs/
Galerie photos
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