Le 3 novembre 2025
Ce beau film de Chéreau, adaptation subtile de Conrad, conjugue plusieurs tendances de son oeuvre : distanciation et lyrisme, intimisme et sens du spectacle. Une réussite.
- Réalisateur : Patrice Chéreau
- Acteurs : Isabelle Huppert, Pascal Greggory, Chantal Neuwirth, Thierry Hancisse, Thierry Fortineau, Clément Hervieu-Léger
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Allemand, Italien
- Distributeur : Mars Distribution, Malavida Films
- Durée : 1h30mn
- Reprise: 5 novembre 2025
- Date de sortie : 28 septembre 2005
- Plus d'informations : Le site du distributeur
- Festival : Festival de Venise 2005
– Reprise en version restaurée : 5 novembre 2025
Résumé : Une maison où l’on aime venir. De longues soirées où l’on écoute, regarde, rit, affirme une chose puis son contraire. C’est l’avantage des cercles d’habitués, on se connaît si bien. Élans de franchise ou excès de dissimulation, instants de doute, de joie fondée ou infondée : tout s’y côtoie, pour le plaisir des invités et des maîtres de maison. À ces derniers, tout réussit et leur existence est de celles qu’on envie...
Critique : Présenté à la Mostra de Venise 2005, Gabrielle reçut un accueil critique contrasté et peina à rencontrer son public en salle. Patrice Chéreau adaptait ici la nouvelle Le Retour de Joseph Conrad (1923), avec pour coscénariste Anne-Louise Trividic. Le film adopte plusieurs traits du style de Chéreau, parfois contradictoires. Gabrielle est d’abord distancié et suggestif, tout en se montrant exubérant et explicatif. Car d’un côté, le jeu d’Huppert, minimaliste et superbe comme à son habitude, est en osmose avec cette atmosphère étouffante qui est d’ailleurs conforme au sentiment d’enfermement saisissant son personnage, sur fond musical de la partition raffinée et nuancée de Fabio Vacchi. En même, temps, les protagonistes partent vite en live, surtout quand Monsieur réalise que non seulement son épouse l’a trompé mais surtout qu’elle ne l’a quasiment jamais aimé. La gestuelle théâtrale, inhérente à la direction d’acteurs dans le cinéma de Chéreau, même s’il a toujours souhaité s’éloigner de ses origines scéniques quand était derrière une caméra, accompagne la dérive psychologique des personnages. Gabrielle manie également l’art de la suggestion (surtout lors du premier dîner mondain, où l’on doit entreprendre un effort pour saisir les enjeux dramatiques) tout en balisant le récit : voix off de Jean Hervet pendant toute la narration, explicitation des motivations du couple central formé par Jean et Gabrielle.

- © StudioCanal Malavida
Le long métrage semble en fait la synthèse de plusieurs œuvres antérieures de Chéreau : les affrontements individuels dans un cadre plutôt intimiste font écho aux déchirements déployés dans L’homme blessé ou Hôtel de France, quand les séquences en costumes mettant en scène une micro-communauté évoquent davantage les complots ourdis dans La reine Margot. Intimisme et romanesque lyrique semblent donc caractériser cet opus, mais un intimisme exubérant et un lyrisme contenu. Comme si deux des influences majeures de Chéreau, Bergman et Visconti, fusionnaient pour s’adapter à un univers singulier. Si le spectateur n’ayant pas vu d’autres longs métrages de Chéreau pourra se sentir déconcerté et en manque de repères, le long métrage est indiscutablement important et semble même s’être bonifié depuis sa sortie, n’ayant rien d’un « grand film malade », selon la formule de Truffaut à propos de certains métrages de Hitchcock fascinants mais ratés.

- © StudioCanal Malavida
Gabrielle peut même être considéré comme l’une des œuvres les plus abouties de son auteur, victime de la même incompréhension que, naguère, Gertrud pour Dreyer, L’innocent pour Visconti ou Le temps de l’innocence pour Scorsese. Huppert est impériale, en bourgeoise aliénée mais tentant de se libérer, et son personnage, évoluant dans un début de XXe siècle peu favorable aux femmes, illustre leurs difficultés à mener un libre arbitre, même s’il n’est pas certain que la grille de lecture suggérée par Conrad et Chéreau soit celle d’un féminisme ostensible. À ses côtés, Pascal Greggory est impérial en mari tourmenté, et offre une composition digne de celle déployée dans Ceux qui m’aiment prendront le train. Ils éclipsent quelque peu leurs partenaires, réduits à incarner des présences archétypales quasi décoratives, choix de direction d’acteurs qui ne remet nullement en cause le talent des excellents Clément Hervieu-Léger en consul ou Thierry Hancisse en rédacteur en chef aux apparences faussement vulgaires. Gabrielle fait partie de la rétrospective Patrice Chéreau cinéaste proposée par le distributeur Malavida en novembre 2025.

- Crédit : Luc Roux © Malavida
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rjeugi 20 septembre 2005
Gabrielle - Patrice Chéreau - critique
huis clos à trois, gabrielle, jean et leur maison début xx siècle...
l’histoire d’un couple bourgeois gabrielle et jean, 10 ans de mariage, qui tient salon dans leur sublime maison, jusqu’au jour où un grain de sable va tout basculer, la découverte d’une lettre écrite par gabrielle dans un cabinet de toilette. l’un découvre qu’il n’y a jamais eu d’amour et tente de comprendre, l’autre a été tenté mais revient en connaissance de cause...
de sublimes séquences en noir et blanc (seule la descente des voyageurs du train et la déambulation de jean dans les rues de paris, au début du film a été tourné en n&b) comme la montée de l’escalier par les domestiques. de très beaux mouvements de caméras & costumes, en particulier lors des réceptions dans la maison de gabrielle et jean, de salon en salon. très beau film servi par une musique originale qui embellit le film (à noter la sublime interprétation de raina kabaivanska en chanteuse russe) et bien sur deux acteurs prodigieux, isabelle huppert et pascal greggory sous la direction de patrice chéreau.
cgaillardot 7 octobre 2005
Gabrielle - Patrice Chéreau - critique
Bien qu’il s’agisse bie nde théâtre filmé (dommage), on reste dubitatif à la fin. Est-ce dû à la froideurs des personnages (merveilleusement bien interprétés) qui fait que nous n’accrochons pas et nous ne pouvons prendre parti pour l’un ou l’autre. Il reste de l’incompréhensio ndes deux côtés, nous ressortons aussi déroutés qu’eux.
Très beau film mais étrange !
ImLucky 21 novembre 2005
Gabrielle - Patrice Chéreau - critique
Après "Intimité",Patrice Chéreau film avec "Gabrielle" la non-intimité si l’on peut dire. Nous sommes en 1912, dans une maison bourgeoise, où le gratin de Paris se réunit tous les jeudi pour affirmer une chose puis son contraire.Parmi un cercle d’habitués et de nantis, on ricane, on échange, on s’amuse à avoir le dernier mot. Ce petit monde est réglé comme du papier à musique, et le maître de ses lieus (Pascal Gregrory, remarquable de justesse), est fier de celle qu’il appelle "la pièce la plus splendide de ma collection", qui n’est autre que son épouse, Gabrielle, jouée par Isabelle Huppert (devrais-je encore une fois vous dire tout le bien que je pense d’elle ?)
Mais soudain, l’horloge se dérègle quand Grabrielle laisse à son mari une lettre de rupture. La fuite de Gabrielle va alors sonner le glas de ce couple d’apparât.
Essentiellement soucieux de paraître et d’agrandir le cercle de ses relations, le mari est soudain pris de panique, face au scandale que provoquera cette rupture. Le couple apparemment soudé va alors se briser à grands fracas, comme la carafe en cristal que le mari fait tomber à la lecture de la lettre. Adaptant une nouvelle de Joseph Conrad, "Le Retour", Patrice Chéreau met en scène son film comme une pièce de théâtre, en enfermant ses protagonistes dans un huit clos luxueux mais étouffant, espionnés par les domestiques où toute intimité est réduite au néant. Pascal Greggory joue à la fois le désarroi et de la honte, l’arrogance de l’époux offensé, le mépris. Il est tour à tour odieux et pitoyable.Quand Gabrielle revient de ses quelques heures d’errance, elle éclate de rire lorsque son époux lui annonce son pardon.Plus rien ne compte pour elle, qui annonce froidement :" le pire que j’ai fais, c’est de revenir" et fera payer à son époux son incapacité à l’avoir définitvement quitté. Commence alors un dialogue impitoyable entre les deux êtres, qui auront l’un pour l’autres des mots qui blessent. Chéreau fait référence au cinéma muet de l’époque, en soulognat certaines des répliques du film par des inscriptions écrites, qui semblent faire écho aux dialogues. Les silences sont aussi forts que les dialogues, par les gros plan sur les visages, dont on semble toucher le grain de la peau. Chéreau, tout en filmant le mépris, arrive à nous émouvoir par son génie de réalisateur et fait de l’histoire de ce couple une histoire intemporelle : peut-on impunément continuer de vivre avec quelqu’un que l’on n’aime plus ?
Seule bémol:Chéreau passe du noir et blanc à la couleur, sans que l’on saisisse vraiment l’intérêt de ce jeu de ,qui n’ajoute rien à la qualité de sa réalisation.