Le 16 juin 2014
- Genre : Épouvante-horreur
Artus Films publie une anthologie archi complète sur la collection GORE du Fleuve Noir, qui illumina le quotidien de nombreux adolescents dans la deuxième moitié des années 80 avec son étalage de barbaque et de chair fraîche.
Artus Films publie une anthologie archi complète sur la collection GORE du Fleuve Noir, qui illumina le quotidien de nombreux adolescents dans la deuxième moitié des années 80 avec son étalage de barbaque et de chair fraîche.
C’est en avril 1985 que sortent les premiers petits livres de la collection GORE avec pour titre inaugural La Nuit des Morts-Vivants de John Russo, histoire d’annoncer la couleur et de bien mettre en avant les liens de ce projet éditorial avec le cinéma d’horreur américain. Les années d’existence de cette série littéraire correspondent en effet avec les débuts de la VHS-mania en France, une époque où les adolescents se délectaient en regardant des slashers et autres splatter movies et redécouvrant les classiques de Herschell Gordon Lewis. Trouvables dans les kiosques à journaux ou dans les supermarchés, ces bouquins populaires, aux couvertures dégoulinantes et racoleuses, ont aussi représenté une expérience d’édition très singulière à laquelle David Didelot et toute une bande de collaborateurs rendent hommage à travers cet ouvrage volumineux et tout en couleurs. Mais au-delà de ces portraits d’auteurs, ces interviews et ce passage en revue de chacun des volumes et des stratégies publicitaires mises en place par Daniel Riche, celui qui fut à l’origine de cette aventure, les rédacteurs nous proposent aussi un historique du Gore en France, partant des 120 journées de Sodome de Sade jusqu’à aujourd’hui. Mi enquête (il a fallu trouver les auteurs derrière tous ces pseudonymes) mi dictionnaire, GORE : Dissection d’une collection est surtout le témoignage d’une époque passionnante et révolue. Nous avons posé quelques questions à David Didelot quant à ce travail qu’il a commencé il y a déjà une vingtaine d’années en arrière.
AVoir-ALire : Un peu comme dans le cinéma d’exploitation, on s’aperçoit que les couvertures des ouvrages de la collection GORE promettent parfois plus que ce que l’on trouve à l’intérieur, beaucoup se plaignant que les scènes sanguinolentes soient assez timides dans un certain nombre d’ouvrages. Se situait-on selon vous dans la tradition du cinéma d’exploitation avec ces affiches qui en annonçaient bien plus qu’il n’y en avait véritablement dans le contenu ?
David Didelot : Très clairement, tu as tout à fait raison. D’ailleurs, il y a énormément de couvertures de la collection GORE, signées Dugévoy pour la plupart, dans lesquelles on trouve des clins d’œil cinématographiques à des films d’horreur sans même que cela ait un rapport avec le contenu. Pas seulement Dugévoy d’ailleurs, même quelques autres illustrateurs qui ont œuvré pour la collection. Il n’était pas rare de trouver un motif cinématographique (un personnage comme Freddy, un élément d’affiche tiré de La Nuit des Morts-Vivants, etc.). Cela établit clairement le rapport entre l’affiche de cinéma et ces couvertures. Évidemment, il s’agissait d’appels d’offre destinés aux adolescents. Cela rappelle aussi les affiches hautes en couleurs des cinémas de quartier d’antan, avec des femmes souvent dévêtues, des monstres étranges, du sang. Il est vrai que certains ont pu être déçus, et moi le premier, en lisant le roman qui ne correspondait pas à la première de couverture. En même temps, cela signifiait aussi que la collection GORE est bien plus variée qu’on ne le dit. À la première lecture, on peut être déçu quand on a quatorze ans et qu’on lit ça. Mais on redécouvre aussi la diversité de la collection. Certains romans sont plus atmosphériques, d’autres se rapprochent d’un fantastique plus traditionnel. On a même des romans à la limite de l’expérimental, comme on pouvait trouver d’ailleurs un peu d’expérimental dans le cinéma d’exploitation. Sur le coup, on est déçu parce qu’il y a tromperie sur la marchandise mais en même temps cela montre aussi que ce n’était pas uniforme.
AVoir-ALire : Il y a eu une grande campagne de pub pour lancer la collection, cela a amené en 1987 à la Nuit de l’horreur, le grand prix du roman Gore, ou un film comme Les prédateurs de la Nuit. Étrangement, du moment où des publicités (de cigarettes notamment) apparaîtront sur les quatrièmes de couvertures, la collection connaîtra une perte de vitesse. Peut-on parler d’un âge d’or du gore en France, et celui-ci est il dû en grande partie au talent de publiciste et directeur de collection de Daniel Riche ?
David Didelot : Cela a duré cinq ans mais je situe l’âge d’or lors des deux premières années, jusqu’au festival d’Avoriaz 87 où il avait été mis en place le grand prix du roman Gore qui avait été attribué à Bruit Crissant du Rasoir sur les Os de Corsélien. Cela correspond à la grande époque de la VHS en France et à la mise à dispositions dans tous les salons des films les plus sanglants. Le point d’acmé c’est aussi, me semble-t-il, Le Jour des Morts-Vivants de George Romero qui obtient d’ailleurs le Prix spécial Gore au festival du Grand Rex en 1986 et Street Trash de Jim Muro qui l’obtient en 1987. Il manquait une traduction littéraire de cet engouement pour le gore qui a été porté en plus par une maison d’édition majeure dans la littérature populaire qui était Le Fleuve Noir. Daniel Riche tenait à cette promotion marteau pilon : La Nuit de l’Horreur, le grand prix du roman Gore, l’événement était en plus relayé sur les ondes et à la télévision, le prix spécial Gore du Grand Rex, un service presse hyper actif, des encarts pubs, des concours dans les magazines et dans les romans eux mêmes, des pleines pages et pleines couvertures achetées pour la promotion de la collection.
AVoir-ALire : Quant aux liens avec Les prédateurs de la nuit...
David Didelot : Le lien c’est Charles Nécrorian qui s’est occupé de l’écriture des scènes gore du film comme il l’explique dans la préface du livre, qu’il m’a fait l’immense honneur d’écrire.
AVoir-ALire : C’est intéressant de voir cette fascination pour les créatures visqueuses dans plusieurs ouvrages de la collection. Pour La nuit de l’horreur, ils avaient aussi programmé La Nuit des Vers Géants de Jeff Lieberman.
David Didelot : Cela avait fleuri pas mal en Angleterre dans le créneau qu’on avait appelé les English nasties : des parasites, des limaces, des vers, des animaux un peu dégueulasses qui attaquaient. Beaucoup de romans jouaient là dessus dont La Nuit des Vers Voraces, qui rappelle le film dont tu viens de parler qui avait effectivement été projeté.
AVoir-ALire : Le public de la collection était principalement adolescent. Du coup, malgré la soi disant permissivité du genre, certains domaines étaient interdits comme les tortures sur animaux ou sur enfants. N’était-ce pas contradictoire avec les idées de départ ? Et l’autocensure était-elle au bout du compte plus forte que l’actuelle censure ?
David Didelot : Non. Tous les auteurs que j’ai interrogés m’ont tous dit qu’ils avaient joui d’une très grande liberté. Ils n’avaient eu aucune coupe à subir.
AVoir-ALire : Pourtant les tortures sur animaux semblaient gêner les directeurs de la collection.
David Didelot : Une extrême liberté, exception faite, c’est vrai, des violences faites aux enfants, aux animaux et aussi éviter les sujets historiques un peu brûlants. Mais il y a eu des dérogations, par exemple Joël Houssin dans L’Écho des Suppliciés s’en prend (dans son livre évidemment) aux enfants, Pierre Pelot aux chiens écrasés et André Caroff dans son roman Extermination fait commencer le récit dans un camp de concentration. Donc les règles établies ont été largement transgressées. Juliette Raabe, dernière directrice de la collection, me disait que ces exceptions étaient dues en partie au fait que les auteurs en question étaient connus, ce qui me fait dire que cela a été très libre. Malgré tout, Daniel Riche avait peur des scènes où l’on torture des animaux car il avait peur que cela incite des tarés à faire la même chose. Il ne voulait pas être tenu responsable.
AVoir-ALire : Est-ce que c’est la collection GORE en particulier qui vous a donné envie de créer votre fanzine Vidéotopsie dès 1993 qui perdure encore aujourd’hui, malgré une longue pause dans les années 2000 ?
David Didelot : En partie, mais mes "primes amours" sont liées d’abord au cinéma d’horreur et au cinéma bis, d’ailleurs je n’ai pas de suite parlé de la collection GORE. J’en ai parlé à partir du numéro 5 de mon fanzine. Mais c’est vrai qu’après ma rencontre épistolaire avec Daniel Riche, c’est devenu un fil rouge. C’était un peu le supplément littéraire à Vidéotopsie en plus de la partie cinéma qui constituait le gros du fanzine. Il faut dire qu’à ce moment là, vers 1995, c’était le désert, c’était voué à l’oubli, il n’y avait rien dessus.
AVoir-ALire : Il s’agit d’une époque pas si lointaine et pourtant si éloignée d’aujourd’hui, une époque où les ados lisaient pour s’évader de leur quotidien scolaire plutôt que de jouer sur l’ordinateur, où les livres coûtaient moins chers que des tours de manège, où les familles commençaient à acheter des magnétoscopes pour voir les films aux jaquettes attrayantes loués dans les vidéoclubs. Du coup, il en ressort une vraie nostalgie. À cela s’ajoute les nombreux auteurs décédés entre temps. Est-ce que c’est cette nostalgie d’une époque passée trop vite qui vous a motivé dans ce travail de mémoire ?
David Didelot : Carrément. Je suis vite nostalgique. Je considère, parfois à tort, que c’était mieux avant, bien que je sais que c’est trompeur et qu’on ne retient que les bonnes choses. Mais je ne peux m’empêcher d’être nostalgique parfois. Ce livre, c’était l’occasion de revenir à une époque qui m’a formé tel que je suis aujourd’hui. Je sais très bien que les rencontres littéraires, et surtout cinématographiques, que j’ai faites à cette époque là , sont définitives. C’est l’âge de l’adolescence et j’ai vécu mon adolescence dans ces années là. C’est vrai je regrette les vidéoclubs, les soirées entre copains à se mater deux ou trois films d’horreur dans la nuit, l’excitation à choisir tel ou tel film pour la soirée d’après. il y avait de sacrées montées d’adrénaline. Je regrette ce moment à la librairie ou au supermarché quand il y avait les deux nouveaux GORE qui sortaient et sur lesquels je me jetais si j’avais un peu d’argent de poche. Ce livre c’est aussi une manière de revisiter ces années qui ont été matricielles pour moi. C’est aussi rendre hommage à Daniel Riche, qui a quand même créé la collection. Quand j’ai appris son décès, ça m’a re-boosté pour mener à bien ce projet que j’avais depuis longtemps en tête.
AVoir-ALire : Je me demande d’ailleurs si l’impact de la collection n’était pas plus fort dans les petites villes ou les campagnes...
David Didelot : Parmi les gens qui partageaient les mêmes goûts, c’était un vrai événement. J’ai beaucoup de souvenirs de cinéma et de VHS. C’est vrai que je ne ressens plus cette excitation aujourd’hui car on a vu quarante bandes annonces avant la sortie d’un film. Le plaisir est dans l’attente, et comme il n’y a plus d’attente, le plaisir s’en trouve un peu gâché. Je suis enseignant, je suis avec des collégiens toute la journée. Ils ont l’ordinateur rempli de fichiers films. Que des nouveautés, et ils en ont vu un dixième. Puis ça passe. C’est le règne de l’éphémère, de la consommation. De ce livre peut sourdre une certaine nostalgie mais que je revendique. il faut aussi dire qu’il y avait un peu de fesses dans la collection. Tu avais la mort et l’amour sur les couvertures, et quand tu es adolescent, évidemment ça te parle.
AVoir-ALire : Il y avait aussi des entourloupes. Vous êtes tombé sur l’auteur Ray Garton qui n’avait jamais entendu parler de cette traduction d’un de ses romans auparavant. Puis les romans étrangers complètement tronqués pour rentrer sur moins de 200 pages. Il y avait quelque chose de presque sauvage et iconoclaste dans cette pratique éditoriale. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les critiques étaient si hostiles. Vous qui avez rencontré les directeurs de la collection, quelle était leur attitude face à cela ? Tronquer des textes littéraires quand on aime la littérature, c’est particulier !
David Didelot : Pour ce qui concerne l’anecdote Ray Garton, c’était vraiment par hasard. Je crois que j’ai contacté l’auteur en lui disant que j’aimais bien son roman. Il m’a dit qu’il n’était pas du tout au courant, c’était la première fois qu’il voyait la couverture de son livre. Petite boulette. Les droits du roman n’avaient jamais été achetés. La collection a été méchamment descendue car on s’est aussi rendu compte que certains romans ont été sévèrement charcutés. Daniel Riche avait choisi au départ des manuscrits qui étaient beaucoup trop gros, et le principe est discutable. Ceci dit, cela a été un peu positif pour certains auteurs. Le régime d’amaigrissement a été bénéfique. On ne gardait que les scènes horrifiques, c’était de la censure à l’envers. Donc tout ce qui était un peu superflu avait été supprimé. Je ne citerai pas de noms mais à certains cela leur a fait du bien. En revanche, je pense à Richard Laymon dont les romans ont été sauvagement découpés. Heureusement, Bragelonne a rattrapé le coup par la suite en traduisant certains de ses romans en intégralité. Mais ce sont là aussi des procédés qui rappellent le cinéma bis. Du tripatouillage pelliculaire, cela me fait penser à ça mais du côté littéraire.
AVoir-ALire : De son vivant, la collection avait elle même créé son propre mythe en publiant Le bel effet Gore. On dirait qu’il y avait déjà conscience qu’il s’agissait d’une aventure éditoriale singulière ?
David Didelot : Oui, c’est quand même incroyable. C’est unique. On a un ouvrage réflexif, une sorte de mise en abime de la collection qui sort en même temps. Il sort avec les numéros 63 et 64, c’est en dire en plein milieu. Je pense aussi que la collection méritait une notice explicative. Mine de rien c’était assez radical. Interviewer certains des auteurs, proposer un inventaire des romans publiés jusqu’alors, cela donnait un vernis plus présentable à la collection. On revenait sur les débuts du cinéma gore.
AVoir-ALire : Le personnage de Dugévoy est assez fascinant, il s’agissait en fait d’un vieux Monsieur qui a assuré 99 des 119 couvertures. Quelles seraient vos couvertures préférées de la collection ? Et pourquoi tant de personnes semblent détester le travail qu’a fait Roland Topor pour la collection ? Pensez-vous que les lecteurs achetaient les livres plus pour les couvertures que pour le contenu ?
David Didelot : Oui, ces couvertures étaient un formidable appel d’offre, graphiques à l’excès, presque carnavalesques. Ces vitrines ont contribué au succès, c’est clair. Ce n’était pas du tout le premier travail de Dugévoy. Il a aussi illustré la collection Police au Fleuve Noir et des livres pour enfants. C’était un peintre d’origine roumaine. Il faisait cela pour s’amuser et pour gagner un peu d’argent. Au départ, ce n’est pas du tout son créneau. C’était purement alimentaire. Mes couvertures préférées ? Blood-Sex n°2 : Bayou, parce qu’on voit cette tarée qui tient le premier Blood-Sex dans la main. J’adore Cauchemars de Sang de Jean-Pierre Andrevon avec un motif emprunté à Reanimator de Stuart Gordon. J’adore aussi celle de Grouillements de G.-J. Arnaud. J’adore celle de Guillotine ! de (Céline W. Barney qui sort en 1989, moment du bicentenaire de la révolution française. J’adore aussi le roman et la couverture de Bruit Crissant du Rasoir sur les Os de Corsélien, celle de Lésons irréparables pour un autre roman de Corsélien. Comme l’explique Juliette Raabe, il ne s’agit pas de remettre en cause le talent de Topor qui est un très grand artiste, mais commercialement et artistiquement parlant, le public que visait la collection n’a pas accroché. La couverture de Zéro Heure de John Russo et Rêve de Chair de Barbéri-Jouanne sont pas mal. Mais il y a quelque chose qui ne va pas. On a une couverture signée par un grand artiste aux influences surréalistes et à l’intérieur on va trouver un roman de série B gore, il y a une distorsion entre les deux, et c’était un mauvais choix. Les citations cinématographiques étaient moins évidentes. D’ailleurs Juliette Raabe rappellera Dugévoy pour la fin de la collection même si cela n’a pas suffi à faire pérenniser la collection.
AVoir-ALire : L’ouvrage se termine par des documents de votre collection personnelle, correspondances, autographes, c’est presque un parcours de vie intime que vous nous donnez à voir. Je finirai donc par vous demander ce que vous avez ressenti d’avoir fait le tour d’un tel travail et de le voir aujourd’hui publié ?
David Didelot : Cela fait évidemment très plaisir de voir concrétiser matériellement ce sur quoi tu as travaillé pendant longtemps. C’était presque une promesse que je m’étais faite en mémoire de Daniel Riche. Le plus beau cadeau que je pouvais faire c’était de réunir tout cela dans un ouvrage. Je suis aussi content car j’ai eu énormément de contributeurs, des passionnés, amateurs de culture gore qui ont participé à l’ouvrage. Je suis heureux aussi que ce soit Artus Films qui le sorte et que Thierry Lopez ait pris le risque de publier ce livre par coup de cœur, lui même étant un grand passionné de la collection. C’est un aboutissement, clairement.
http://www.artusfilms.com/
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