Journalist 103 : Une longue absence qui en valait la peine

Notre avis : Sans aucun doute, la bataille pour les âmes et esprits, Journalist 103 l’a définitivement gagnée.
C’était déjà le cas en 2010, lorsqu’avec Apollo Brown, alors au début de sa carrière, et DJ Soko, le MC secoua le monde indépendant du hip hop américain avec Gas Mask, pamphlet pour une vision de cette musique loin de la gangrène commerciale qui peut la grignoter. Portée sur l’amour pour cette culture, l’écriture s’axait également sur une ville, celle de Detroit, de ses gens, de sa criminalité, de son environnement. Sorte de bande originale officieuse de la Motown, Journalist 103 légitimait son nom d’artiste par son regard acéré et lucide, à l’affût, prêt à dégainer son micro pour tirer sur une industrie qui le répugne, ainsi qu’à partager son existence au sein d’une ville qu’il chérie et connaît autant qu’elle peut être dangereuse. Pour Battle for the Hearts and Minds, le rappeur clarifie dès l’introduction, Ain’t Going Back, sa prise de position. Il ne reviendra jamais dans le rap game, et continuera toujours de consolider sa plume, ses obsessions, sur du boom bap à l’image de la puissance de son flow, typique de la lourdeur que peut délivrer le rap américain.

Symbiose si aboutie qu’on en vient à douter qu’elle puisse un jour s’améliorer, ce deuxième album solo appareille à la patte bien identifiable du label une influence type Apollo Brown, diluée ça et là dans ces 45 minutes d’une efficacité impressionnante (à peine finit-on l’album qu’on veut déjà le relancer). Branche officielle du rap américain fat (il mérite l’appellation), Babygrande insuffle à ce disque un esprit Jedi Mind Tricks / Army of the Pharaohs / Snowgoons (pour donner une idée de la puissance) dans des morceaux à l’apparence plus ou moins hardcore, où le plus désignerait Up 2 U et sa production culottée, samplant Nadia’s Theme, le générique des Feux de l’Amour, et le moins, Future, magnifique pause de 3 minutes avant de repartir dans des sons plus cogneurs. Avec 7 featurings au compteur, soit la moitié de l’album, Battle for the Hearts and Minds laisse la part belle aux artistes locaux de Detroit, des vieux de la vieille (Guilty Simpson, One Be Lo, MarvWon) à la nouvelle génération et son empreinte alternative (les gars de Clear Soul Forces), dans un album bien marqué par l’empreinte de Journalist 103, mais aussi par toute une scène hip hop, dans un Detroit’s All-Star (pour reprendre les mots de Babygrande Records) massif et passionnant, unification sous une même bannière, pour une même cause, pour un même art, de tout un tas de MC’s talentueux.
Eminem et ses potes se plaignaient en 1995 (8 Mile se déroule cette année-là) du peu d’attention accordé au rap de Motor City. Journalist 103 a contribué à lui donner une voix. Une sacrée voix.