Le 4 mai 2015
L’autobiographie en forme d’abécédaire d’un des activistes les plus méconnus du cinéma français.
L’autobiographie en forme d’abécédaire d’un des activistes les plus méconnus du cinéma français.
Au départ, je pensais me sentir handicapé dans cette lecture étant donné que, même si j’en ai entendu parler, je n’ai véritablement jamais vu un seul film de Julien Richard-Thomson. Lui-même parle d’ailleurs de ce qu’il considère son chef-d’œuvre, Jurassic Trash, comme de son long métrage "le moins méconnu". Cinéaste de l’ombre, il a pourtant été actif dès son plus jeune âge. A huit ans, il tourne déjà avec la caméra Super 8 de sa grand-mère qui lui apprend aussi les rudiments du montage. Sa première histoire, Santorama, témoigne déjà de son goût pour les parodies, le fantastique et l’horreur. Son premier public et ses premiers acteurs ne sont autre que sa famille, dont son frère Blaise, qui reste son plus fidèle et vaillant collaborateur. Plein de fantasmes en tête, ce passionné crée son premier cinéma dans un coin de sa chambre. Il le nomme l’Apollo. Il installe quatre chaises et des tabourets et projette ses productions sur un mur blanc à sa famille ou ses amis. C’est ainsi que commence cette autobiographie qui prend la forme d’un abécédaire, un choix logique quand on connaît mieux le personnage et son sens du jeu, son amour du second degré et sa capacité à rire de sa propre mégalomanie (il s’est fait spécialiste des interviews de lui même en utilisant des pseudonymes). D’emblée on plonge dans un univers très proche de celui de Mark Borchardt, le réalisateur fauché mais ambitieux immortalisé par le documentaire American Movie (1999). La vie de Julien Richard-Thomson pourrait elle aussi inspirer un film avec toutes les anecdotes et les péripéties rocambolesques qui lui sont arrivées lors de ses tournages faits souvent à l’arrache.
Associé à la série Z, de sa faute et bien malgré lui à la fois, comme il l’avoue dans le livre, cela se révèle plus une conséquence du manque de moyens qu’un choix délibéré de sa part. Une chose est sûre, cet individu a dédié toute sa vie au septième art et ses références viennent du cinéma haut de gamme hollywoodien (De Palma, Scorcese, Eastwood, Lynch...). Déjà, à l’école élémentaire, il montrait ses films à ses camarades et ses professeurs voyaient en lui un futur génie. Démarre alors une filmographie conséquente, dans laquelle on trouve autant une parodie d’ Alien avec un poulpe (Poulpos) que des œuvres aux titres fort prometteurs : Vampyrmania, Time Demon, Attack of Serial Killers from Outer Space, Roboflash Warrior, Bloody Flowers... Étrangement, les plus intéressants semblent être ceux qu’il nomme ses "non films", ceux dont personne n’a voulu mais qui se révèlent être les plus personnels. Mis à part La nuit des ploucs vivants, dont le titre est tout un poème, il y a eu Les cinéastes, La verrue, Cargo Vaudou ou L’Ange blond de la mort. A cela s’ajoutent aussi ses films-canulars Massacre à la moulinette à viande ou Mon Zombie chez les nudistes. Bref, un tas de projets réels ou fictifs qui s’étendent sur trois décennies.
On apprend ainsi comment se débarrasser d’un nain de trop sur un casting, comment obtenir des blouses d’infirmerie en donnant de son propre sang, comment utiliser un manche à balai en guise de perche ou comment faire face aux forces de police quand elles vous prennent pour un commando terroriste basque de l’ETA. Et si plusieurs acteurs de Jean-Pierre Mocky se sont retrouvés dans ses films, on s’aperçoit bien vite que le désir de Julien Richard-Thomson est de faire un cinéma pour plaire au grand public, ce que Jean Rollin lui a d’ailleurs dit gentiment en lui précisant qu’il était un réalisateur "commercial". Mais comment faire quand on n’a pas un sou en poche ? C’est là qu’intervient la débrouille, et que l’auteur en profite pour égratigner le système élitiste français des subventions. Il va même jusqu’à écrire blanc sur noir sur le dos de couverture qu’il est "le seul cinéaste à ne jamais avoir bénéficié d’aucune aide publique d’aucun organisme" et de se considérer comme un "pionnier du Do it yourself". Oui, c’est abusif mais quand vous lirez le livre, vous comprendrez qu’il n’y a pas de demie mesure pour le bonhomme, quitte à en faire des tonnes.
Bien entendu, il revient en détail sur le scandale lié au tournage du film Korruption en 2014 où il s’est retrouvé au milieu d’une guerre politique, fomentée par des "journalistes" peu scrupuleux du Point ou de M6. Drôle de coïncidence, le film parlait justement de la corruption dans les médias et des vengeances politiciennes. Comme quoi, les films de Julien Richard-Thomson, sous leurs airs bon enfant et comiques, savent aussi toucher la corde sensible et provoquer même malgré eux. Philippe de Villiers avait lui même assigné en justice le cinéaste car le chef scout intégriste de Jurassic Trash se nommait Père Villiers et Jean Lefèbvre l’a même accusé de vouloir attenter à sa vie. Inutile de dire que les procès, Richard-Thomson connaît bien.
Il revient donc avec ce livre sur ses acteurs, ses tournages, sa longue amitié avec Jean Pierre Putters de Mad Movies (qui assure d’ailleurs la préface sous forme d’une conversation de comptoir avec Christophe Lemaire), son amour immodéré pour les synthétiseurs (avec lesquels il assure les bandes originales de ses films), sa peur de vieillir (sentiment terrible de voir son corps accuser le coup des ans quand on garde l’esprit et l’enthousiasme d’un adolescent), ses différentes caméras, ses tournages foireux ou ses affinités semi involontaires avec le cinéma pornographique (il a été cadreur dans un film de Rocco Siffredi pour dépanner)
Au final, on a dit de Julien Richard-Thomson qu’il était une sorte d’Ed Wood français mais lui même se sent plus proche de Quentin Dupieux. Le seul moyen à présent d’en avoir le cœur net est de découvrir ses films, aussi secrets soient-ils étant donné qu’aucun n’a bénéficié d’une sortie en salles. C’est peut-être ce qui les rend plus attractifs encore. Aussi mal aimé qu’il puisse être, le cinéaste, de par son acharnement, apparaît plus comme un vaillant héros que comme le loser que la profession veut voir en lui. Un personnage attachant.
Le site de l’éditeur : http://www.jaguarundi.fr/fr/
24 x 16 cm
Broché
143 pages (dont livret couleur 8 pages)
14 euros
ISBN 978-2-9551429-0-5
Galerie Photos
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