Eric Vuillard débute son roman par la scène de soutien financier des capitaines d’industrie allemands au parti nazi. Ces entreprises que nous consommons aujourd’hui, de Wolkswagen à Hugo Boss, pour en citer deux parmi trente, et qui ont fourni, il y a 80 ans, les Panzer et autres panoplies SS.
Les phrases sont courtes, bien écrites. Du vocabulaire, mais sans ostentation. Les descriptions sont bien cadrées comme au cinéma. Des phrases robustes comme celles d’un script qui font pourtant de la vraie littérature.
Puis le narrateur prend la parole en nous livrant son analyse, comme une voix off qui commente. Elle dénonce la faiblesse de ce mou-du-genoux de Kurt Schuschnigg face à ce qu’il appelle le bluff hitlérien.

Eric Vuillard (Droits : AFP/Joelle Saget)

Ce livre est une reconstitution-documentaire-moraliste en quelque sorte ! Format intéressant. Sans être un essai, il est difficile d’ignorer la réflexion qu’il induit en ne saluant que la forme réussie de ce prix Goncourt. On se pose tout de même des questions en le refermant…
Pourquoi Eric Vuillard s’intéresse-t-il à l’autrichien ou à l’anglais, en évitant soigneusement les rangs français ? Déjà vu ? Pétain, Laval… trop connus ? Il y avait là aussi, matière à dénoncer la compromission sans avoir un Ausweis…
Pourquoi les marques et entreprises auraient elles une morale, et une morale indépendante de celles des personnes qui les animent ? Pourquoi s’en étonner ? Que dire d’une entité symbolique comme la France après la guerre d’Algérie ?
Comment supposer que ce qui a amené la France et l’Allemagne à s’affronter trois fois de manière aussi violente, soit définitivement éteint par le seul traité de l’union européenne ? Ne peut-on pas supposer que la bataille s’est déplacée sur le plan économique et que l’Allemagne est en train de réussir son Raumsleben. Le Brexit est-il une répétition d’une ancienne méfiance ? Ce livre n’est-il pas un signe d’une angoisse sourde qui ne dirait pas son nom ?
La même compromission des politiques et des peuples existe-t-elle aujourd’hui sur le plan économique ? Invasion commerciale ? Grèce à la ramasse... Italie et Espagne, exsangues... France au pas.
Françaises, français, procurez-vous L’ordre du jour d’Eric Vuillard et un vol aller-retour pour Vienne pour aller vivre le livre chez Sissi.
Pour les autres, sédentaires, nourrissez votre embonpoint, prenez des viennoiseries au coin de la rue et lisez cela tranquillement à la maison comme si vous étiez dans un salon de thé du quartier de Rathaus.