Vivre dans la peur - Akira Kurosawa - critique

Critique : Ayant rencontré au Japon un cuisant échec public, probablement en raison de son thème particulièrement grave, Vivre dans la peur est resté inédit en France. Heureuse initiative donc que cette sortie quasi simultanée en salles et en DVD. Car ce Kurosawa, loin de simplement mériter le coup d’œil, se révèle l’une des œuvres les plus singulières et les plus fortes de son auteur.

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Traumatisé comme tous les Japonais par les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki dix ans plus tôt, inquiet de la poursuite des essais nucléaires (le film est directement inspiré par l’accident des îles Bikini ; il provoque des pluies radioactives qui, s’abattant sur un thonier japonais, atteignent gravement tous les membres d’équipage) et des dangers qu’ils représentent, le cinéaste propose une sorte d’état des lieux. A travers le personnage d’un vieillard terrorisé par la menace qu’il juge imminente (extraordinaire composition de Toshirô Mifune, alors âgé de trente-cinq ans !) et les réactions presque unanimement négatives de sa famille, Kurosawa rend compte de l’âpreté d’un Japon affairé, en pleine reconstruction, dans lequel celui qui dénonce la fuite en avant suicidaire de l’humanité passe pour un ennuyeux empêcheur de faire des profits en rond. Œuvre sombre, pessimiste, sans concession, admirablement mise en scène (tout rappelle le contexte des bombardements de 1945, en particulier la canicule qui sévit), Vivre dans la peur mérite amplement d’être découvert. D’autant plus qu’en ces temps de prolifération nucléaire à tout va, il n’a malheureusement rien perdu de sa triste actualité.

LE DVD

Le(s) supplément(s) à ne pas rater : Trois films d’inégale qualité sont proposés en complément de l’œuvre. Un documentaire japonais brouillon et plutôt anecdotique insiste de manière assez mélodramatique sur les rapports de Kurosawa avec son compositeur décédé au cours du tournage, Fumio Hayasaka. Il retrace également la genèse du film, mais sur ce point, on préfèrera nettement les précisions de Fabrice Arduini. Le grand spécialiste du cinéma nippon replace brillamment l’œuvre dans son contexte historique et doublement cinématographique (histoire du cinéma japonais et carrière de Kurosawa). Enfin, un entretien avec la scripte attitrée de Kurosawa apporte quelques éléments sur certains de ses films ainsi que sa manière de travailler.

Image & son : On retrouve ici les grandes qualités de la collection. Le master restauré (image et son) permet d’apprécier pleinement le travail visuel effectué, notamment sur les éclairages. Quant au son, particulièrement important, travaillé, riche, il est rendu de manière tout à fait satisfaisante.