Bla bla métafinancier
Le 26 mai 2012
Et si on était ressorti déçu du dernier Cronenberg ?


- Réalisateur : David Cronenberg
- Acteurs : Samantha Morton, Mathieu Amalric, Paul Giamatti, Juliette Binoche, Robert Pattinson, Jay Baruchel, Sarah Gordon
- Titre original : Cosmopolis
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Canadien
- Durée : 1h50mn
- Festival : Festival de Cannes 2012
Aussi habile que déconcertant, le dernier Cronenberg confirme l’enfermement d’un cinéaste dans une veine auteurisante un peu barbante, la maîtrise de l’image en plus. Un film nettement au-dessus de la mêlée toutefois...
L’argument : Dans un New York en ébullition, l’ère du capitalisme touche à sa fin. Eric Packer, golden boy de la haute finance, s’engouffre dans sa limousine blanche. Alors que la visite du président des Etats-Unis paralyse Manhattan, Eric Packer n’a qu’une seule obsession : une coupe de cheveux chez son coiffeur à l’autre bout de la ville. Au fur et à mesure de la journée, le chaos s’installe, et il assiste, impuissant, à l’effondrement de son empire. Il est aussi certain qu’on va l’assassiner. Quand ? Où ? Il s’apprête à vivre les 24 heures les plus importantes de sa vie.
Notre avis : Que le spectateur moyen oublie vite la bande-annonce cadencée qui sert de promo arnaque à Cosmopolis. Le dernier Cronenberg en date, est lent, mou, bâti dans le silence et une succession de sketches-entretiens où le mot l’emporte toujours sur l’action périphérique que l’on entrevoit à distance, à travers les vitres d’une limousine bunker. Oui, l’adaptation du livre manifeste de Tom DeLillo est à l’opposé du fantasme cinématographique que son distributeur essaie de vendre, puisqu’il s’agit d’un pur film d’auteur, entièrement cérébral, qui nous cloître dans le néant de l’affect d’un géant de la finance de 28 ans, un jeune loup milliardaire qui possède matériellement tout mais dont l’existence est aussi aseptisée qu’un caisson de bronzage. Dans notre contexte de crise financière qui perdure et dans l’obsession pessimiste de l’humanité pour la fin des temps, la métaphore d’une finance assassine qui fait basculer le monde dans le chaos, est filée tout au long de la course du golden boy Erick Packer, qui prend sa limo pour aller se faire une petite coupe de cheveux à l’autre bout de la cité. Si les dialogues, parfois un peu assommants et pas toujours passionnants, semblent à la première lecture un peu abscons, le fil conducteur lui ne l’est pas... Le message sur un Wall Street scientifique entièrement tourné vers l’avenir à travers la spéculation sans scrupule pour ceux qui vivent le présent est martelé ; mais Cronenberg ne perd par le nord et s’amuse à y intégrer tous ses thèmes récurrents, médicaux, organiques, cérébraux alors que le monde des affaires brise les icônes pour s’ériger en nouvelles chapelles, à l’image des images cathodiques dans Videodrome ou des jeux vidéo dans Existenz.
C’est extrêmement bien fichu, avec un décor central de limousine high tech magnifié par la caméra clinique du réalisateur ; à l’aise dans cet intérieur atypique qui lui sied bien, il en fait un véritable organisme où son occupant mange, boit, s’ébat et urine, alors que des invités s’installent pour lui tâter la prostate (scène culte d’un érotisme décalé) ou philosopher sur le sens des affaires. On finit dans une demi-heure de huis-clos un peu déconcertante, aux portes de la folie pure, mais une folie intimiste qui abandonne le monde extérieur pour un duel verbal un peu tordu... On reconnaît les intérieurs crasseux et jaunâtres des productions sulfureuses d’antan. Cela en a un peu l’odeur nauséabonde, sans pour autant en avoir la savoureuse perversion qui est ici contenue. Même l’esthétique métallique du véhicule de luxe n’est pas sans rappeler les ferrailles scandaleuses de Crash où la chair et le métal fusionnaient dans le sperme et le sang, lors d’accidents provoqués volontairement.
Finalement dans cette œuvre où le contexte sonore intervient peu malgré le désordre apocalyptique s’installant dans les rues de Manhattan, on ressort un peu engourdi, emmitouflé entre les murs capitonnés d’un film sans trop de surprise, sinon celle de révéler un comédien formidable... Robert Pattinson dont le regard un peu vitreux et le peu d’aisance à sourire, trouve un bien bel écrin dans cet enfer métallique aux allures de pierre tombale.
Vos avis
3 juin 2012, par Frédéric de Vençay
La matière cronenbergienne, puisée dans le roman prophétique de Don DeLillo, n’est pas moins excitante que les joutes psychanalytiques de son précédent film. Le cinéaste canadien, toutefois, déçoit (relativement) moins en lui donnant une consistance un peu plus cinématographique. Décor inouï de limousine hi-tech, bientôt envahi de liquides et de sécrétions parasites (sperme, urine, sueur, vodka), mise en scène reptilienne, étrangeté et langueur à la David Lynch... Le scénario, complètement dingue, reste la plus grande force de "Cosmopolis", mais aussi son talon d’Achille : s’il offre à Cronenberg l’occasion de quelques vraies fulgurances (notamment une séance de toucher rectal frôlant la partouze), il menace aussi de noyer le film sous un verbiage et une espèce de torpeur engluée, flirtant avec la mort cérébrale à plusieurs reprises. En réalité, tout le film balance ainsi entre l’enthousiasmant et le barbant, jusqu’à ce que son final (un face-à-face atone entre Giamatti et Pattinson), hélas, aide à trancher en sa défaveur.
4 juin 2012, par roger w
Certes, le nouveau Cronenberg n’a rien du film choc présenté dans la bande-annonce, mais cela n’en fait pas pour autant un film mineur. On appréciera notamment beaucoup son commentaire décalé sur la situation financière mondiale et son audacieuse volonté de montrer des êtres humains de plus en plus coupés du monde extérieur. Si le film est très lent, et très bavard, sa froideur le rapproche d’un autre glaçon cinématographique, intitulé Crash. Destabilisant au premier abord, mais finalement passionnant dans son approche désincarnée d’un problème mondial.