Femme (presque) fatale
Le 6 mai 2014
Film noir culte, Gilda est un brillant manifeste sur l’atrophie du désir, qui fit de Rita Hayworth la grande star de la Columbia des années 40.
- Réalisateur : Charles Vidor
- Acteurs : Rita Hayworth, Glenn Ford, Joseph Calleia, George Macready, Donald Douglas, Steven Geray, Gerald Mohr
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Romance, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Park Circus France
- Durée : 1h50mn
- Date télé : 3 octobre 2024 20:50
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 7 mai 2014
- Titre original : Gilda
- Date de sortie : 28 mai 1947
- Festival : Festival de Cannes 2024
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– Festival de Cannes 2024 : Sélection officielle, Cannes Classics
Résumé : Buenos Aires, 1945. À quelques jours de la fin de la Seconde Guerre mondiale, Johnny Farrell, un américain habile pour tricher au jeu, est agressé par un mauvais perdant dans une ruelle lugubre des docks. De justesse, celui-ci est sauvé par un certain Ballin Mundson, propriétaire d’un casino. Johnny devient son employé et bientôt, un lien d’amitié se tisse entre les deux hommes. Mundson, néanmoins, ne touche pas mot à Johnny de ses activités clandestines. Après un voyage, le riche propriétaire lui présente sa femme, l’envoutante Gilda. Mais Johnny s’aperçoit avec stupeur qu’il s’agit de son ancienne amante, celle-là même qui a jadis précipité sa déroute. Devant Mundson, ni Gilda ni Johnny ne trahissent leur ancienne liaison. Mais très vite, une relation étrange s’instaure entre les trois êtres…
Critique : Inutile de passer par quatre chemins : que Gilda soit l’une des œuvres les plus sensationnelles du "film noir" n’est pas nouveau et n’étonnera donc personne. Mais ce qu’il y a d’étonnant pourtant avec ce long-métrage, lorsqu’on y pense, c’est qu’aucun nom ou presque ne vient rassurer le cinéphile averti sur la qualité du film qu’il regarde : du réalisateur au scénariste (alors presque débutant) en passant par le chef opérateur et le compositeur, rien n’attire l’attention outre mesure. Nul doute, d’ailleurs, que le cinéaste Charles Vidor a profité entre autres de la gloire de son homologue King Vidor, souvent considéré comme l’un des plus grands du cinéma américain. Bref, Gilda n’a en un sens a priori rien pour plaire. Mais alors comment expliquer son succès ? Par la présence de Rita Hayworth ? Peut-être, mais pas seulement…
À l’instar de Marilyn Monroe, Rita Hayworth est une actrice conçue de toute pièce. Une construction d’abord initiée par son père, qui l’obligea dès le début à jouer de ses charmes et de son habileté en danse pour entrer à Hollywood. Puis perpétuée par la suite par ses maris, tel Orson Welles qui utilisa l’icône presque comme un produit marketing pour réaliser la promotion de son film La Dame de Shanghai. Dans la même logique, le nabab de la Columbia Harry Cohn fit d’elle un véritable objet sexuel à travers ses personnages, réceptacle clé des fantasmes des soldats américains. Malheureusement, Rita Hayworth, contrairement à Marilyn Monroe, ne parvint jamais à se détacher de cette image.
"Les hommes s’endorment avec Gilda et se réveillent, déçus, avec moi", constatait avec amertume Rita Hayworth. Sans aucun doute possible, Rita est bel et bien Gilda, saisissante croqueuse d’hommes à la beauté impénétrable, aux longues jambes et à la chevelure de feu. Dans Gilda, son personnage semble à première vue prêt à tout pour arriver à ses fins, parangon de la femme criminelle et égoïste du film noir. Mais en cours de chemin, les certitudes se brouillent : à l’inverse de la femme fatale classique, veuve noire vénale, Gilda se révèle à fleur de peau et contre toute attente fidèle en un amour unique.
Et si le titre du film, Gilda, n’était finalement qu’une fausse piste ? Et si l’œuvre dissimulait en fin de compte un autre message derrière ses évidences ? Une chose est sûre, en tout cas : Gilda n’est sans conteste pas le personnage central du film, celui autour duquel gravite toute l’intrigue. D’ailleurs, cette dernière apparaît tard à l’image et n’y figure en définitive pas plus d’une vingtaine de minutes. Or, si ce choix est bien une façon de faire monter le désir, le résultat n’est pas au rendez-vous puisque ni Mundson, son mari, ni Johnny, son ex, ne la désirent réellement - qu’elle soit vêtue ou dévêtue de ses tenues les plus séduisantes. Un sous-entendu pour le moins osé en 1946, à l’heure de gloire de Rita Hayworth et à l’aube de son déclin. Ou l’art de maquiller un sujet presque impossible à traiter à l’époque : l’homosexualité masculine.
Car l’objet de désir n’est ici non pas Gilda mais Johnny, filmé en tant que tel et quasiment levé sur le trottoir par l’époux de cette dernière, lequel est d’ailleurs armé d’une canne… Ainsi, derrière l’étiquette "film noir" de Gilda se cache en réalité l’histoire d’une femme au charme impuissant, façon délicate de mettre l’accent sur l’autre drame qui se joue sous nos yeux mais que nous tardons néanmoins à percevoir. Impassible et voyeuse, la caméra de Charles Vidor renvoie le regard cruel des hommes cernant Gilda. Au plus près de son visage, elle scrute la moindre de ses expressions, tour à tour saturées de joie puis soudainement brisées par l’incursion d’hommes désobligeants. Terrassée par sa frustration sexuelle, Gilda n’a alors qu’une échappatoire : la danse.
En découle l’une des catharsis les plus mythiques du cinéma hollywoodien. Extériorisant ses pulsions érotiques les plus intimes, Rita/Gilda – première actrice de l’histoire de Hollywood à s’enhardir d’une telle performance seule à l’image – célèbre son insatisfaction physique à travers un strip-tease ganté plein d’amertume. Trop belle, trop vertueuse, Gilda est une femme qu’on admire sans vraiment oser toucher. Même si elle constitue le principal sujet de discussion de Mundson et Johnny, ces derniers ne consommeront à aucun moment leur mariage avec elle. Tant et si bien qu’entourée à jamais par les hommes, Gilda, unique rayon de lumière dans un océan de noirceur, se retrouve aussi irrémédiablement seule.
À la fin de Gilda, le spectateur ressort avec de nombreuses interrogations. C’est que Charles Vidor a choisi délibérément de laisser les grandes questions de son long métrage sans réelle réponse. Qui sont vraiment les protagonistes de cette histoire ? D’où viennent-ils ? Et que se passe-t-il concrètement dans le casino ? Tout au long du film, la mise en scène s’amuse de ce jeu d’ombre : même si l’on passe beaucoup de temps à observer (entre les stores du bureau dominant la salle de jeux, notamment), on ne saisit jamais précisément ce que l’on voit. De même, les personnages sont également souvent filmés de dos, rendant les choses encore plus obscures. Le réalisateur a-t-il trop insisté sur les ambiguïtés ? Peut-être, mais c’est aussi sans doute ce qui fait encore aujourd’hui le caractère si singulier et intemporel de cette œuvre inclassable.
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