Le 26 août 2019
- Scénaristes : Carlos Sampayo, Gustavo Schimpp, Carlos Trillo
- Dessinateurs : Breccia, Alberto, Carlos Nine, Solano López, Nacha Vollenweider, Quique Alcatena, Domingo Mandrafina
- Editeur : iLatina
L’éditeur de la nouvelle maison d’édition iLatina aspire à faire découvrir au public francophone la bande dessinée sud-américaine. Rencontre.
Co-fondateur de la maison d’édition iLatina, Thomas Dassance part d’un constat : la méconnaissance du public français vis-à-vis de la bande dessinée sud-américaine, pourtant extrêmement riche. La bande dessinée sud-américaine passe souvent sous les radars des synthèses sur l’histoire du genre, qui met le plus souvent en évidence les pôles franco-belge, étasunien et japonais. Seuls quelques noms émergent dans les catalogues des éditeurs francophones : Carlos Nine, José Muñoz ou Alberto Breccia dont l’œuvre n’est d’ailleurs éditée que de manière parcellaire. Face à ce manque, les éditions iLatina souhaitent jouer le rôle de passeur culturel en mettant en évidence la richesse de la bande dessinée sud-américaine, et en particulier argentine, d’hier et d’aujourd’hui. Avant de lancer ses premiers titres en librairie, Thomas Dassance a lancé un financement participatif qui permet aux plus curieux d’obtenir rapidement les premières bandes dessinées du catalogue accompagnés d’ex-libris et sérigraphies numérotées signées par leurs auteurs. De passage en France, il a retracé avec nous son parcours et ses objectifs avec iLatina et nous a présenté ses premiers albums, que vous retrouverez en librairie dès la fin du mois d’août.
àVoir-àLire : Comment en êtes-vous venu à créer une maison d’édition dédiée à la bande dessinée sud-américaine ?
J’habite à Buenos Aires depuis 1999 et depuis que je me suis installé là-bas, j’ai toujours été lié au monde de la bande dessinée. J’ai ainsi publié en Argentine des bandes dessinées (argentines tout d’abord, puis européennes) pendant une quinzaine d’années, sans en faire un métier à plein temps. J’ai également aidé à fonder à Buenos Aires un festival de bande dessinée, Viñetas sueltas (2008 – 2012 et 2016 – 2017) devenu Comicópolis (2013 – 2015). Viñetas sueltas était un festival relativement modeste. En 2012, nous avons été invité par l’espace Tecnópolis [l’équivalent argentin du Futuroscope] à installer notre festival dans un de leurs hangars, à en changer le nom et à l’ouvrir à d’autres optiques comme le cosplay et la pop culture. L’espace alloué par Tecnópolis nous a permis de toucher un plus grand public qui découvrait des expositions consacrées à de grands auteurs et découvrir la production des éditeurs argentins. En 2015, Comicópolis a attiré près de 120 000 personnes : cette année-là, on a organisé une exposition consacrée à Muñoz et on a fait venir Art Spiegelman qui a joué son spectacle sur l’histoire de la bande dessinée [intitulé Wordless]. Or, Comicópolis était entièrement financé par le ministère argentin de la Culture, ce qui a posé problème lors du changement de gouvernement et de signe politique. On a relancé Viñetas sueltas en 2016 et 2017, avant que le ministère de la Culture ne nous signifie qu’ils ne pouvaient plus nous appuyer à cause de nouvelles restrictions budgétaires.
L’arrêt du festival en Argentine m’a libéré du temps. J’ai alors pensé à éditer des bandes dessinées argentines en France pour faire découvrir une bande dessinée que je connais bien, et mettre ainsi à profit le réseau développé au fil de mes activités en Argentine. Concrètement, je m’occupe de la partie éditoriale depuis Buenos Aires : rapport avec les auteurs et les ayants-droits, scan et traduction des livres, design des collections, etc. Mon associée Claire Miremont, qui habite en France, se charge de la gestion des stocks et plus largement de la diffusion, de la présence en festival et salons ainsi que des réseaux sociaux.
àVoir-àLire : Quels sont vos objectifs avec les éditions iLatina ?
L’idée est vraiment de faire découvrir au public français tout un pan de la bande dessinée sud-américaine qui est resté inconnu. Pour ce faire, on lance deux collections, l’une consacrée aux titres patrimoniaux, « Grandes Autores », et l’autre dédiée à la bande dessinée contemporaine, « Novela Gráfica ». Le travail d’édition patrimoniale France a pour but de raconter au mieux l’évolution du 9ème art en Amérique du Sud à travers ses œuvres fondamentales et ses auteurs incontournables. On connaît en France quelques grands noms, comme Breccia ou Muñoz, mais on ignore tout du substrat qui a permis à ces auteurs d’émerger en Argentine. D’un autre côté, j’ai également envie de publier des jeunes talents sud-américains. Dans un premier temps, on va surtout éditer des titres patrimoniaux. Outre les sorties déjà prévues, on travaille déjà avec des auteurs et ayants-droits pour les sorties de 2020.
àVoir-àLire : Pourquoi avoir choisi un financement participatif ?
Nous n’avions pas besoin de financement participatif pour éditer les livres de notre première année d’exercice : les frais de publications sont couverts par un apport et un prêt bancaire. En revanche, on s’est dit que le financement participation pouvait créer un apport de trésorerie utile pour faciliter la suite tout en faisant connaître notre projet. Le financement participatif crée un mini-événement autour de la maison d’édition.
àVoir-àLire : Est-ce que vous pouvez nous présenter les premières sorties ?
On sort deux livres à la fin du mois d’août, Evaristo et Notes de bas de page, et deux titres au mois de novembre, Chroniques amérindiennes, et une intégrale comprenant La grande arnaque et l’Iguane de Carlos Trillo et Domingo Mandrafina.
Evaristo est une bande dessinée de Carlos Sampayo, le scénariste d’Alack Sinner aux côtés de José Muñoz, et du dessinateur Solano López. Solano López est extrêmement célèbre en Argentine pour avoir dessiné l’Éternaute, une bande dessinée de science-fiction publiée dans Hora Cero à partir de 1957 qui se déroule à Buenos Aires. Publié en épisodes à la fin des années 1970 et début des années 80, Evaristo restitue l’ambiance et les principaux traits de la société argentine des années 1950-1960 à travers les enquêtes d’un commissaire de police. Les enquêtes traversent ainsi les bidonvilles argentins, font découvrir le monde des prostituées, ou révèlent l’existence d’un complot militaire pour faire tomber la démocratie. Le récit replace plusieurs faits qui ont eu lieu en Argentine, comme l’enlèvement d’Eichmann, que l’on récapitule dans une note à la fin du livre. Le personnage d’Evaristo est lui-même un personnage complexe : ce flic qui a réellement existé est ici pris dans ses contradictions : réputé incorruptible, il valorise l’honneur mais se révèle ultra-violent et misogyne. Du côté du récit, Carlos Sampayo réalise un travail intéressant car chaque histoire est racontée de manière différente, avec des points de vue multiples.
Notes de bas de pages de Nacha Vollenweider est une bande dessinée contemporaine. L’autrice est une argentine qui descend de Suisses allemands, un point qu’elle aborde dans son récit. La construction du récit m’a beaucoup intéressé dans cette bande dessinée : Nacha Vollenweider a rendu dans sa narration la digression mentale qui fait qu’un mot, un objet nous rappelle quelque chose de notre passé. Le récit qui structure le livre est parsemé de « notes de bas de pages », ce qui permet de lier des sujets qui sont a priori très éloignés : la crise des migrants dans l’Allemagne d’aujourd’hui se mêle ainsi à l’histoire de son arrière-arrière grand-père qui a immigré en Argentine. J’ai trouvé ce fonctionnement très pertinent.
Vient ensuite Chroniques amérindiennes , de Gustavo Schimpp et Quique Alcatena. Complètement inconnu en France, Alcatena est l’un des dessinateurs vivants les plus importants en Argentine, qui a également travaillé pour Marvel et publié en Italie et en Angleterre. Chroniques amérindiennes s’intéresse aux légendes et aux sociétés des peuples des Grands Lacs d’Amérique du Nord. Cette bande dessinée appartient au « réalisme magique » : très précise dans la description des comportements des peuples autochtones, elle témoigne des liens entre les Amérindiens et la nature. Les auteurs ne tombent pas dans le mythe du « bons sauvages », ce qui fait que le récit n’est pas du tout édulcoré. Cette bande dessinée est proche dans son esprit du Grand cercle du monde de Joseph Boyden.
On éditera enfin en intégrale La grande arnaque de Carlos Trillo et Domingo Mandrafina, qui est paru en France il y a une vingtaine d’année. J’ai réalisé une nouvelle traduction pour ce titre, comme pour les autres d’ailleurs.
àVoir-àLire : Quels sont les auteurs sud-américains méconnus en Europe que vous aimeriez bien publier ?
Il y a plusieurs jeunes auteurs argentin avec qui j’aimerais bien travailler, comme Dante Ginevra ou Juan Saenz Valiente, afin de réaliser des projets originaux. Il y a des histoires qui me semblent importantes à raconter sur l’Argentine et l’Amérique du Sud qui pourraient plaire au public français. Par exemple, je pense qu’il serait intéressant de réaliser une bande dessinée de reportage sur les conséquences de la culture du soja en Argentine. Il serait également utile de revenir sur la dictature argentine : ces 4 dernières années a eu lieu le plus grand procès de la dictature qui met en accusation de nombreux responsables de tortures et d’exécutions, avec des centaines de témoins et d’accusés. C’est un procès très important pour les Argentins.
Du côté de l’édition patrimoniale, j’aimerais publier un ou deux recueils de Patoruzú qui, à l’image d’un Astérix chez nous, a nourri l’imagination de plusieurs générations de lecteurs et constitue l’une des bandes dessinée les plus populaires en Argentine. Je prends l’exemple d’Astérix car Patoruzú a inspiré Goscinny – qui a vécu en Argentine – pour le duo gros fort un peu benêt / petit énergique et malin. Patoruzú est créé en 1928 par Dante Quinterno, et a été publié pendant plus de cinquante ans, et c’est l’une des bandes dessinée les plus populaires en Argentine.
àVoir-àLire : Est-ce qu’il y a une homogénéité dans la bande dessinée sud-américaine ?
L’espace sud-américain n’est pas homogène. L’Argentine est le grand pôle de la bande dessinée d’Amérique du Sud, bien plus que le Chili ou le Brésil. Je trouve qu’il y a en Argentine une vocation au graphisme qu’apprécient les amateurs de bande dessinée « classique ». Par rapport à l’évolution d’une bande dessinée européenne de plus en plus centrée sur la narration, la bande dessinée argentine reste très attachée au « dessin bien fait », avec une plastique inspirée de Breccia ou Nine.
Ce qui unit le plus la production de la bande dessinée sud-américaine, c’est sans doute l’utilisation massive du noir et blanc. En France, la bande dessinée en couleur s’est imposée chez les lecteurs. En Amérique du Sud, c’est le noir et blanc qui prime depuis toujours pour le grand public. Ainsi, si l’on doit dresser une grande différences entre ces deux cultures de la Bande Dessinée, on se rend compte que les plus grandes œuvres d’Amérique du Sud sont en noir et blanc, tandis que c’est la bande dessinée indépendante qui a fait ressurgir le noir et blanc en France.
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