Les amitiés suspectes
Le 11 avril 2010
Oscar du meilleur film étranger, une œuvre sensible et novatrice, longtemps maudite, incomprise et invisible en France. Un OVNI dans l’histoire du cinéma, de nouveau dans nos salles...


- Réalisateur : Serge Bourguignon
- Acteurs : Hardy Krüger, Nicole Courcel, Patricia Gozzi, Daniel Ivernel, Malka Ribowska, Michel de Ré, Anne-Marie Coffinet, France Anglade, Florence Blot
- Titre original : 1h50mn
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Date de sortie : 21 novembre 1962
Oscars 1963 : Meilleur film étranger
Reprise : 7 avril 2010
L’argument : Pilote de guerre en Indochine, Pierre croit avoir tué une petite fille en bombardant un village. Quelques années plus tard, sur le quai de la gare de Ville d’Avray où il accompagne son amie Madeleine, il rencontre Françoise, une fillette de 12 ans, abandonnée par sa mère et que son père a placée dans une institution religieuse. Se faisant passer pour lui, Pierre prend l’habitude de la sortir tous les dimanches. Une tendre et pure amitié s’établit entre eux. Mais les braves gens s’inquiètent...
Notre avis : Curieuse destinée que celle de ce film météore, chef-d’œuvre du cinéma français, qui eut du mal à trouver une sortie en salle avant d’obtenir l’Oscar du meilleur film étranger et connaître le succès américain. Mais une relative indifférence en France le condamna à l’oubli rapide, l’œuvre étant d’ailleurs invisible depuis des décennies. Serge Bourguignon, son auteur, fut une étoile filante de la réalisation et connut un sort encore plus malchanceux que Pierre Chenal et Edmond T. Gréville, deux autres méconnus de notre cinéma, auxquels on peut le rattacher. Adapté d’un roman fantôme publié bien après la sortie du film, Les dimanches de Ville d’Avray est dans la filiation surréaliste par sa description d’une amitié amoureuse scandaleuse et son traitement des arcanes de la mémoire. Une splendide photo de Henri Decae et un montage vertigineux contribuent à la beauté plastique du film, aussi féérique que La nuit du chasseur ou L’atalante dans ses meilleures séquences (le travelling dans le parc, la fête foraine, l’ascension nocturne du clocher). Hardy Krüger est impeccable et bien assisté par Patricia Gozzi (l’une des rares enfants actrices supportables du cinéma), et surtout Nicole Courcel, extraordinaire en amie infirmière.
D’où vient alors que le film a été si tièdement accueilli en France ? En premier lieu, il fut jugé trop « poétique » tant par les tenants du « cinéma de qualité » que par les gardiens du temple de la Nouvelle Vague ; il incarnait en fait une troisième voie, narrative et visuelle, même si des correspondances thématiques et stylistiques peuvent s’établir avec des films français antérieurs : le traumatisme de la petite fille fait écho à celui de Brigitte Fossey dans Jeux interdits, et celui de l’ancien soldat aux prises avec sa mémoire rappelle l’univers de Resnais/Duras dans Hiroshima mon amour. Mais Serge Bourguignon fut implicitement suspecté de plagier ces univers, quand sa démarche était authentiquement personnelle. En second lieu, le malaise des personnages secondaires quant à la nature exacte de l’attirance entre les deux protagonistes a sans doute aussi été celui des spectateurs. Quand on le revoit aujourd’hui sereinement, il est évident que la relation évoquée est uniquement affective et nullement sexuelle, même s’il est permis de penser qu’aucune chaîne de télévision (pas même Arte) ne prendra le risque d’une diffusion en prime time de peur du scandale qui pourrait en résulter...
Film culte aux États-unis et au Japon, Les dimanches de Ville d’Avray réédité aujourd’hui en copie neuve, connaîtra-t-il une franche réhabilitation dans la mémoire du cinéma français ? On ne peut que le souhaiter.
Extrait de Les dimanches de Ville d’Avray
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