Beasts of No Nation - la critique du téléfilm Netflix événement

Disponible sur Netflix depuis le 16 octobre, Beasts Of No Nation se voit auréolé d’une engageante réputation depuis sa route des festivals. La présentation du nouveau Fukunaga à la Mostra de Venise s’est même révélée être un événement. Le résultat est-il vraiment à la hauteur des prédictions ? Verdict ci-dessous.

L’argument : Alors qu’il n’est encore qu’un jeune garçon, Agu devient un enfant soldat, embrigadé de force dans l’armée du sanguinaire "Commandant".

Notre avis : Que Cary Fukunaga soit un réalisateur talentueux n’est plus à prouver. Nanti d’une aisance incroyable dans sa représentation du modernisme, le réalisateur de la première saison de True Detective est même virtuose (qui peut se targuer d’être resté de marbre face au plan séquence de la première saison de la série HBO ?). Variety va jusqu’à affirmer que le bonhomme "n’a pas failli à sa réputation. Il est l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération". Mais est-ce que le genre si spécifique du film de guerre sied au langage cinématographique de Cary Joji Fukunaga ?
© Netflix
Poser cette problématique en appelle finalement une seconde : Beasts of No Nation est-il un film de guerre ? Tout comme à la question True Detective est-elle une série policière, la réponse est oui... mais pas que. De cette opposition des questionnements, Fukunaga va en tirer l’assemblage même de son découpage et de la rythmique de ses créations. L’antagonisme d’un plan séquence face aux plages méditatives. L’antagonisme de la monstruosité des êtres face à leur dernière part d’humanité. L’antagonisme des monstruosités de la guerre face à un engagement politique etc. Dans Beast Of No Nation, le spectateur sera en permanence mis en face d’une dualité qui questionnera avec justesse son positionnement. L’une des premières scènes où les enfants orchestrent des scénettes derrière un écran de télé cassé, sont à ce titre judicieusement allégoriques, touchantes. Ce parti pris de duplicité pousse la réalisation en dehors des sentiers battus, mais aussi parfois, tend son récit vers des nœuds scénaristiques un peu plus balisés.
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Car pour ce qui est du récit de la chronique guerrière, le canevas est parfois vacillant. Du point de vue purement technique de l’écriture, le schéma actanciel n’évite pas les écueils des peintures africaines "à la" Blood diamond. Mais là où le réalisateur de Jane Eyre fait la différence, c’est dans la captation constante de son sujet, dans tous les sens du terme. D’une plongée hallucinée dans la violence d’un assaut, dont les effets du fameux Brown Sugar des Rolling Stones se font ressentir à l’écran, aux plages beaucoup plus intimistes sur fond de voix-off métaphysiques : le metteur en scène ne manque jamais d’imprégner sa patte sans pour autant trahir le substrat thématique du film. Dans ces moments fragiles où beaucoup auraient sombré dans des emprunts au rock psychédélique d’Apocalypse now, Cary Joji Fukunaga préfère la partition aérienne de Dan Romer. Là où bon nombre aurait posé leur caméra sur les morts douloureuses des êtres aimés, Fukunaga opte pour la sagacité d’un court contre-champ préfigurant la fuite face aux balles. En dépit de quelques tares de développement appelant une conclusion, soit désespérée, soit sentimentaliste, le projet se métamorphose en film de chair et de sang... Un film de chair et de sang au sein duquel son auteur accouche d’une touchante diatribe sur la fin de l’innocence, de la manière la plus brutale (et donc réaliste) qui soit. Bouleversant !