Des étoiles dans les yeux - la critique du livre

Copyright Corinne Gilliéron

Notre avis Nicolas Fraissinet a déjà produit plusieurs albums de musique. L’interprète compositeur nous avait habitué à une langue sensuelle, profonde, apparemment simple, accompagnée de quelques musiciens, dans un esprit quasi minimaliste. Cette fois, l’artiste nous offre un roman qui est tout à la fois une expérience de poésie, une traversée musicale et un conte pour adultes et adolescents où, derrière la douceur des mots et la joliesse des tournures, se cache la dureté d’un handicap à venir : la cécité. En effet, son jeune héros, Eliott, apprend que dans 15 jours, il sera plongé dans le noir à cause d’une maladie orpheline, qui fait penser aux nénuphars dans la poitrine de Chloé, la célèbre héroïne du roman de Boris Vian L’écume des jours. Mais la comparaison ne s’arrête pas là avec l’écrivain surréaliste. Comme Boris Vian, Nicolas Fraissinet est musicien ; comme Boris Vian, le roman nous entraîne dans un univers poétique, totalement recomposé, où l’Opéra devient l’Opéra Grenier, les guichetières de la Poste sont habillées de Timbres Postaux et les rues portent des noms incroyables, semblables à des constellations d’étoiles.

Des étoiles dans les yeux est un ouvrage rempli d’amour. L’auteur évoque des personnages qui constituent une sorte de variation de toutes les formes d’amour, à commencer par cette mère, écrasée par la douleur, qui essaye d’anticiper toutes les peines de son fils, ou ses deux amis, Camille et Robin, ces deux luminaires placés au-dessus de son cœur, ou encore, Hadrien, le petit frère - qu’Eliott, désespéré, ne verra pas grandir - ou même le chien Oscar. Le romancier déroule quinze jours où son héros et son environnement sont amenés à se poser les questions essentielles d’une existence, quand le drame y prend place. Et il y a ce Tü mystérieux qui s’invite au fil de pages, comme un témoin de la cécité qui s’installe et d’un nouveau rêve qui s’ouvre, celui de parcourir des scènes musicales à travers le monde.

Nicolas Fraissinet écrit-il un roman personnel à la troisième personne ? La question demeure centrale dans cet ouvrage, où le lecteur est amené à attraper sur les pages, des extraits musicaux de sa propre composition. En fait, le récit est ponctué à chaque chapitre de rêves qui montrent notre héros sur une scène de concert, écartelé entre l’impossible à venir et la chaleur fraternelle des musiciens et du public. Le mystérieux Tü habite ces instants très poétiques, comme s’il faisait le lien entre la fiction et la réalité autobiographique du chanteur.

La voix de l’éveil parcourt l’ouvrage, qui constitue un subtil condensé de littérature et de musique. Il faut glaner les pages, attraper ces espaces de musicalité, se laisser perdre dans ce Paris fantasque, où la Goutte d’Or s’appelle la Pomme d’or. Il faut aller à la rencontre de ces humanités bouleversées par la maladie d’Eliott et emportées dans leur propre chemin de vie. Il faut admettre cette forme romanesque nouvelle, en étant assuré que le destin de cécité de notre jeune héros est une promesse d’amour, à moins qu’il ne s’agisse que d’un simple mirage dont il faut se réveiller. Il faut surtout se précipiter sur les albums du chanteur qui demeurent un contrepoint d’exception à ce roman aérien.