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Le 31 mai 2024
Malgré la banalité de son titre français, le film de Kore-eda n’est pas qu’une énième histoire de famille. C’est l’occasion pour lui de creuser un terreau sociétal auquel il s’était peu frotté, et de le faire avec la finesse qu’on lui connaît. Un coup de cœur.
- Réalisateur : Hirokazu Kore-eda
- Acteurs : Lily Franky, Sakura Andō, Kirin Kiki, Sōsuke Ikematsu, Mayu Matsuoka
- Genre : Drame, Drame social
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Le Pacte
- Durée : 2h01mn
- Date télé : 1er juin 2024 22:45
- Chaîne : France 4
- Titre original : Shoplifters
- Date de sortie : 12 décembre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
Résumé : Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…
Critique : Le nouveau Kore-eda sélectionné à Cannes… c’est presque devenu un pléonasme. Sept fois en compétition (avec quelques passages par celle de la catégorie « Un Certain Regard ») en dix-huit ans, c’est devenu une habitude. L’une de celles dont voudraient se délester le Festival, désireuse d’afficher sa politique de renouvellement. Et pourtant, le réalisateur a signé cette année un film à ce point abouti que le snober aurait été ni plus ni moins qu’une preuve d’hypocrisie. Après plusieurs films dans lesquels il s’est concentré sur les relations entre deux ou trois membres d’une même famille (que ce soit des sœurs dans Notre petite sœur ou un père et son fils dans Après la tempête), et après le thriller The Third Murder, il revient à un récit qui ausculte une cellule familiale dans son ensemble, tel qu’il ne l’avait plus fait depuis Stil Walking il y a déjà dix ans. Il imagine ainsi une famille, composée de deux parents (Lily Franky et Andi Sakura), deux enfants (Matsuoka Mayu et Sasaki Miyo) et une grand-mère (Kirin Kiki), vivant d’arnaques à l’assurance et de vols à l’étalage. Dès le début, vient s’y ajouter une petite fille, livrée à elle-même (Kairi Jyo) et rapidement adoptée. C’est à travers les yeux de cette gamine mutique que l’on assiste, dans un premier temps, au quotidien de ce foyer.
- (c) 2018 Fuji Television Networkgaga Corporationaoi Pro. Inc. All Rights Reserved
C’est donc au cours de scènes collectives que l’on découvre de l’intérieur comment fonctionnent leurs relations, et la façon dont ils survivent à leur exclusion sociale grâce à divers actes illégaux. La grande sympathie qui s’installe rapidement à leur égard nous fait aussitôt pardonner leur caractère délictueux. Et de les voir s’émouvoir pour cette petite fille en apprenant qu’elle était battue par ses parents ne peut que les rendre plus adorables encore. Fidèle à sa façon de filmer pleine d’humilité, Kore-eda pose ainsi sa caméra au cœur de cette famille pas comme les autres et s’interdit d’appuyer sur quelque discours mielleux ou autre scène superficielle. Avec la délicatesse qui caractérise son cinéma, il va peu à peu dévier de cette observation collégiale pour aller se concentrer sur chacun des membres et leurs interconnexions. C’est justement là que son travail sur ses précédents films se ressent car là où la première partie nous avait fait apprécier « une famille », la suite du développement parvient à rendre les six personnages plus attachants autant qu’à élargir leur caractérisation individuelle.
- (c) 2018 Fuji Television Networkgaga Corporationaoi Pro. Inc. All Rights Reserved
Là où on retrouve la finesse de Kore-eda, c’est dans le travail sur l’émotion que suscitent ses dialogues et dans les situations face auxquelles il met ses personnages pour faire ressortir leur fragilité. Chaque échange devient alors un moment d’une pure émotion, parfois teintée d’une fatalité éprouvante mais aussi d’un humour rafraichissant. Mais cette fable aigre-douce n’en reste pas moins un regard mélancolique sur la société japonaise : chaque vol à la tire commis par les enfants les renvoie à leur condition de laissés-pour-compte, le boulot d’escort-girl limite les chances d’Aki, la grande sœur, de trouver un emploi grâce à son seul physique. C’est justement cette réalité qui vient, dans la dernière partie, sortir brutalement le film de sa légèreté cotonneuse. Le réalisateur adopte alors une tout autre mise en scène, se rapprochant davantage de celle qu’il avait expérimentée dans The Third Murder où se multipliaient les scènes d’interrogatoire.
Un dispositif qui permet de nous faire découvrir –au forceps– tous les secrets qui faisaient que notre regard sur cette famille était justement biaisé par le sentimentalisme avec lequel il nous l’avait présentée. Bien qu’il soit un peu laborieux dans la longueur, cet épilogue permet ainsi à Kore-eda d’interroger sur son propre cinéma en rappelant que, derrière les belles histoires de famille qu’il multiplie depuis plus de quinze ans, se dissimulent des réalités sociales plus abruptes qu’il ne faudrait pas occulter. Voici pourquoi Une affaire de Famille apparaît aujourd’hui comme un aboutissement auteuriste dont on espère que le jury du Festival sera touché par l’intelligence du propos au-delà de son seul travail pour rendre cette fable touchante.
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thais 30 décembre 2018
Une affaire de famille - Hirokazu Kore-eda - critique de la Palme d’Or 2018
J’ai une question,
La famille vit donc d’amour ...
Ensuite nous apprenons divers secrets. Mais au final, les parents et La grand mere ont vrmt adopté ces enfants pour de l’argent ou pas ?
Parce que moi, j’ai pense que la police ayant donc tout mal interprété, transmet donc des réalités fausses à chacun. Comme à La mere a laquelle on fait croire que juri a voulu par elle même retourne chez ses parents . Ou encore le père fait croire à son fils qu’ils ont voulu l’abandonne . Et que malgré ces réalités fausses, ils continuent de s’aimer fort tel un vraie famille ... Voilà comment je l’ai interprété . Mais il se trouve donc que tous ces secrets sont donc vrais ?
Quelqun peut donc me confirmer ou pas ma théorie ?
ceciloule 14 janvier 2019
Une affaire de famille - Hirokazu Kore-eda - critique de la Palme d’Or 2018
Beaucoup de finesse, oui, beaucoup de poésie et de délicatesse dans la manière de filmer, dans les comportements des personnages et la tendresse qu’ils éprouvent les uns pour les autres. Un message social également puisque Kore-Eda veut pointer du doigt le fossé social créé en partie par la politique de Shinzo Abe. On adore, même si beaucoup de questions restent sans réponse et même si la fin achève de nous perdre un peu plus... (pour en savoir plus sur mon avis : https://pamolico.wordpress.com/2019/01/14/une-famille-unie-par-le-crime-une-affaire-de-famille-hirokazu-kore-eda/)
Rayou 23 janvier 2019
Une affaire de famille - Hirokazu Kore-eda - critique de la Palme d’Or 2018
Je suis d’accord avec Thais : pour moi les policiers dévoient la réalité affective de cette famille. Même si leur relation s’est construite sur des bases limites voir immorales, les liens étaient là, forts. L’entente et la douceur de vivre étaient bien réels. Mais ces choses là ne sont pas quantifiables. Ça ne pèse rien face aux vrais liens familiaux, reconnus par la loi, face aux actes du passé. La fable n’en est que plus forte. Cette société bien séante qui croit s’inscrire dans son bon droit ne rend pas heureux les gens. Elle empêche même la liberté d’aimer et de choisir sa famille. Le film n’en est que plus fort. C’est le paradoxe entre une vie hors la loi pleine de bonheur et une vie sociale reconnue, installée et respectée... alors que monstrueuse et aliénante.
Le film sur 90% est un moment de légèreté. Les situations sont amenées de façon très fine, très sensible. L’histoire est vraiment belle, intéressante et donnant à réfléchir sur nous.
Tout est bien... sauf la fin. Un trou noir. Une bobine qui manque. Un montage raté. Je ne sais pas. On reste en suspens complet pour deux des personnages, la grande fille et la petite fille. Insupportable. Quelques informations supplémentaires, succintes, auraient suffi juste à satisfaire le manque. Mais là, rien. Des actions arrêtées avant d’en voir l’aboutissement. Une porte qui s’ouvre, un sourire qui s’esquisse. Mais encore ???