Lust, Caution - la critique

Un thriller classique et robuste sur le désir qui broie la raison, rehaussé par des scènes charnelles de haute tenue et une interprétation hors pair.

L’argument : En Chine, sous l’occupation Japonaise, pendant la Seconde guerre mondiale, une jeune étudiante (Tang Wei), qui rêve de devenir actrice, est recrutée par le chef d’un groupe militant (Wang Leehom) pour interpréter le rôle de sa vie : séduire un homme de pouvoir (Tony Leung) qui collabore avec les autorités japonaises et user de sa séduction naturelle pour le démolir. Mais le cœur a ses raisons...

Notre avis : Après avoir tordu les conventions du western, fait exploser les sous-entendus et bouleversé les cœurs de cow-boys midinettes avec le sublime Secret de Brokeback Mountain, Ang Lee, cinéaste énigmatique et imprévisible, furète cette fois vers le thriller brûlant sur fond d’espionnage en articulant une nouvelle histoire touffue et complexe autour de deux thèmes indémodables : l’amour et la frustration. Un genre qui serait totalement différent si le style n’était pas reconnaissable dès les premières images et la construction dramatique, si proche du précédent écheveau passionnel de monsieur Lee où tout l’intérêt résidait également dans l’attente impossible et l’élan vital. Pour ainsi dire, Lust, Caution est une nouvelle affaire de raison et de sentiments.
Passée une première heure tellement conventionnelle qu’elle en devient soporifique, le réalisateur entre - enfin - dans le vif du sujet et nous passionne. Avec une ferveur de chaque instant, il sonde les charivaris intérieurs de deux personnages idéologiquement opposés en pleine période sinistrée, mais irrésistiblement attirés l’un vers l’autre. Ainsi, des scènes d’une haute intensité qui bouleversent les enjeux moraux. Ainsi, l’expérience de l’autre comme corps ennemi et du sexe interdit qui évente par avance tout jugement voire tout commentaire. Ainsi, des parties de mah-jong qui symbolisent les luttes de pouvoir. Ainsi, des regards qui traduisent l’impuissance ou le désir et en disent plus que les pauvres mots atrophiés.
Splendeur désespérée et lyrisme glacé. Très référencé à son amorce (on pourrait présenter le film comme un Portier de Nuit à la sauce Black Book - ou l’inverse), Lust, Caution se révèle grâce à ses deux comédiens principaux (surtout Tang Wei, magnifique) un film bouleversant où le politique cherche des noises aux désordres intimes. Où la passion rend aveugle. Où le devoir est toujours suspect. Où l’émotion finit par étreindre. Littéralement. Seuls bémols : Ang Lee manque un tantinet de limpidité voire de spontanéité dans le traitement des informations et n’échappe pas à un académisme bon teint qui aplanit de temps à autre l’étrangeté des relations entre les personnages. Pourtant, malgré ses faiblesses et ses tremblements (mais peut-être aussi grâce à eux), ce film, fiévreux et intense, enroule dans son charme noir et ne renferme aucune image insignifiante. Ses longueurs (sublimes) laissent le temps aux deux personnages principaux de se rencontrer, de s’aimer, de se dévorer. Jusqu’à ce qu’une fin tragique à la Senso de Visconti vienne clore ce ballet de postures et d’états d’une tristesse sans égale.