Le 18 mai 2018
A l’université populaire de Caen, Michel Onfray enseigne sa vision de la philosophie. Le tome 10, recueil de son programme de ses dernières conférences, est consacré à son étude de l’histoire de trois penseurs libertaires du 20ème siècle.
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Résumé : Une grande partie de l’histoire de la pensée occidentale s’est effondrée lors de l’ouverture des camps d’extermination nazis en 1945. La Raison occidentale semblait progresser depuis sa première formulation grecque en passant par la Raison renaissante, la Raison cartésienne, la Raison pure kantienne, la Raison des Lumières. Comment a-t-elle pu déboucher sur l’embrasement de l’Europe par le national-socialisme ?Hannah Arendt a pensé ce phénomène avec ses analyses sur le totalitarisme dont le projet est de créer des hommes superflus. Cette jeune femme juive, qui fut l’élève de Heidegger dont le nazisme fut incontestable, a également été sa maîtresse. Le totalitarisme ne pouvait donc rester une énigme pour elle qui en fit l’analyse. Au-delà du XX° siècle, elle a également pensé la Révolution française, égalitaire, matrice des totalitarismes, qu’elle oppose à la révolution américaine, libertaire et productrice de démocratie. Elle a également examiné ce qui accompagnait la crise de la culture, l’infantilisation des adultes, la science sans conscience, la crise de l’éducation. Hans Jonas a lui aussi pensé le monde postnazi en constatant que la planète était en danger, que les biotechnologies mettaient l’humain en péril, qu’il fallait activer un militantisme appuyé sur la peur pour conscientiser les masses au nom d’un principe d’espérance. L’écologie lui doit beaucoup. Gunther Anders enfin, un temps le mari d’Hannah Arendt, a pensé la bombe atomique, le jazz, la télévision, la photographie, les machines, la propagande, la radio, les médias, la pollution, la technologie appliquée au corps, l’idéologie mortifère répandue par le capitalisme, avant de conclure à l’obsolescence programmée de l’homme. Tous trois ont pensé le nihilisme qui a suivi le nazisme. Leur judaïsme a lié l’apocalypse au principe espérance, non sans imaginer que la violence ne saurait être évitée.
Notre avis : le XXème siècle qui nous a vu naître fut le siècle de la transformation brutale des doctrines. Immunisés contre le tout religieux, des millions d’êtres humains ont été pourtant atteints par des nouvelles pandémies idéologiques à l’échelle planétaire, celles-ci les tuant ou les cantonnant de force à des doctrines. Durant ce drame quasi universel mené au nom du bien-être humain, la philosophie a permis à certains d’entre eux de rentrer en résistance contre pour penser l’avenir.
Dans cet opus, Michel Onfray propose un commentaire de ces trois penseurs qui témoignent d’une grande immunité face aux contagions de masse. Dénonçant le national-socialisme, pour en être des victimes en tant que Juifs, ces penseurs se sont tenus à distance de tout manichéisme ou adhésions partisanes nocives, en critiquant aussi les tragiques dérives communistes et capitalistes. Paradoxalement, l’éclosion de leur pensée s’est faite dans l’ombre du douteux et non moins fascinant, Martin Heidegger, qui fut sans remords, une caution intellectuelle aux théories fascistes.
Le livre est passionnant comme toujours et le style littéraire de notre inlassable bûcheur, porte avec verve sa démonstration. Il comprend tout et souvent mieux que les autres, en tout cas ceux qui ne sont pas de son avis, mais on ne peut lui en vouloir de cette prétention puisque c’est le ressort de son comportement et de ses hypothèses. Son sens de la formule dynamique, quasi journalistique, rend la lecture attractive jusqu’au dernier chapitre. Sa contre-écriture emprunte à la révélation d’un initié qui déjouerait une doxa vulgaire et ignorante. On le suit comme un enquêteur du vrai et qu’importe qu’on y adhère tout ou partie.
Cette contre-histoire du siècle dernier nous concerne plus directement dans les faits que son questionnement présocratique du tome 1. La démarche reste pourtant la même : réfléchir le passé, pour agir aujourd’hui et mieux penser l’avenir. Comment penser de -400 à nos jours pour appréhender les enjeux semblables et démultipliés qui nous attendent ? La capacité d’horreur qu’on pensait absolue à la sortie des camps nazis n’est pas atteinte, bien au contraire, les moyens destructifs du mal sont aujourd’hui démesurément plus grands. Les questions dans nos vies de tous les jours se posent pour lutter ou y échapper : Faut-il souscrire au capitalisme ? Faut-il adhérer à une écologie guerrière ? Faut-il souscrire à une nouvelle puissance religieuse ? Faut-il refuser l’intelligence artificielle ? La maîtrise génétique ? L’abandon du travail ? Onfray prose ses contre-réponses.
Si on tire de ce livre la morale qu’il nous tend, il convient de se méfier à l’avenir de toutes les idées sauf de l’exercice de penser autrement. Il convient d’adopter cette position qui vous place toujours dans la minorité, sur l’autre l’autre bord, dans l’anti-quelque chose et qui s’avère totalement justifiée au regard des échecs passés du national-socialisme et du communisme, ainsi que la déchéance inéluctable du capitalisme actuel. Toute contre-culture est elle suffisante et nécessaire pour se placer dans le vrai de demain ?
A voir, A lire, A cogiter !
Date de parution : 21/03/2018
Editeur : Grasset
Collection : essai français
Nb. de pages : 464 pages
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Galerie photos
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