
Où vous apprendrez comment un jeune homme bien sous tous rapports passe à côté d’un brillant avenir, entraîné sous les lumières perfides des projecteurs par de mauvaises fréquentations.
Ça pourrait s’intituler Le beau Claude, ou Merci pour le cinéma. Ça démarre en 1931, dans une petite ville de province tout ce qu’il y a de plus honnête. Le début est classique, mais de bon ton. Le héros est le fils du pharmacien. Classe moyenne... Petite bourgeoisie. Rien à dire.
Etudes de droit, un riche mariage... Tout semble aller pour le mieux. Et puis, patatras ! En 1953, il entre aux Cahiers du cinéma, et fraie avec des gens peu fréquentables. François Truffaut. Jacques Rivette. Une drôle d’équipe ! C’est le début d’un bouleversement dans le cinéma français. Comme s’il y avait quelque chose à changer ! Ah, pour ça, ils ont un modèle de poids... Alfred Hitchcock. Vous savez, celui qui fait des films si bizarres, des histoires sordides d’esprits malades. Bref, il y passera cinq ans, notre héros, aux Cahiers. Le temps d’asseoir sa théorie de "la politique des auteurs". Il prétend même qu’on peut passer outre les conventions hollywoodiennes et imposer un style, une patte, un cinéma d’auteur. Avec des idées comme ça, on aurait pu parier qu’il allait mal tourner. De toutes façons, le mal était en lui, ça a toujours été un jouisseur (pardonnez-moi l’expression).
C’est là qu’on commence à sentir que rien ne l’arrêtera. Le magot de l’épouse est investi dans un projet insensé. Un film ! Le beau Serge. (C’est pas un peu bizarre, comme titre ?) D’ailleurs, vous trouvez ça normal, la vie qu’il mène, alors que son père était si comme il faut ? Pensez donc. Il s’entoure d’une bande de saltimbanques en mal de contrats, des Brialy, Jean Yanne ou Michel Bouquet, sans parler de Stéphane Audran, qu’il finira même par épouser ! Oui, oui ! C’est une fille ! D’ailleurs, jusqu’en 63, on ne peut pas dire que ça lui profite. Vous avez vu de quoi il parle ? Une honte. Des histoire pas jolies jolies de bourgeois de province dépravés. Il paraît que son truc, c’est de parler de la bêtise. Et bien qu’il en parle ! Le public, lui, est plus intelligent que ça, et c’est moi qui vous le dit, ça ne se bouscule pas aux guichets.
En 64, il change de cap. Le film d’espionnage, ça pouvait être une bonne idée ! Mais c’est plus fort que lui ! Il se moque. Il ne respecte rien, même pas le divertissement des honnêtes gens. Et alors, des titres... ! Je vous demande un peu... Le tigre se parfume à la dynamite, Marie-Chantal contre Docteur Kah... Il ne s’intéresse qu’au meurtre, au péché, à la dépravation. N’ira-t-il pas jusqu’à filmer l’histoire de Landru !
En 1968 (vous savez bien qu’il ne fait jamais rien comme tout le monde), il semble s’assagir. Le public lui en sait gré, il n’y a pas de secret. Il tourne La femme infidèle, Que la bête meure, et Le boucher. Réglé comme une horloge, il nous livre depuis un ou deux films par an. C’est toujours les mêmes histoires, mais on ne le changera pas. Et puis on s’habitue. Les bourgeois de province, les petites mesquineries, les jalousies, la curiosité (d’ailleurs, c’est quoi, la curiosité ? Juste une marque d’intérêt. C’est quand même pas défendu !). Et puis il faut bien dire qu’il a appris à ménager ses effets. On ne s’ennuie jamais. Et puis il sait s’entourer. Simenon, Manchette, et même Flaubert ! Il aime les beaux paysages, les vieilles pierres, les bords de mer. Et toujours les belles filles... Enfin, moi, ce que j’en dis... Il s’est entiché de la petite Isabelle Huppert, sur la fin. Y en avait que pour elle. Et Violette Nozière par ci, et Madame Bovary par là... A croire qu’il ne pouvait plus rien tourner sans elle. Et je ne parle pas de cette espèce de traînée qu’elle nous fait dans La cérémonie.
Comme le temps passe ! Cinquante films, déjà. C’est comment le dernier ? La fleur du mal ? Ça me dit quelque chose... Je ne lis pas ces cochonneries, bien sûr, mais ça serait pas d’un certain Baudelaire, qui aurait dû être brûlé pour mettre ce genre d’idées dans la tête de la jeunesse ?
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