L’anime et son double
Le 14 août 2025
Ce documentaire nous dévoile, dans un portrait naturaliste, les coulisses des sept années de travail acharné qui ont permis à Hayao Miyazaki d’accoucher de son film Le Garçon et le héron.
- Réalisateur : Kaku Arakawa
- Acteur : Hayao Miyazaki
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Durée : 2h00mn
- Titre original : 宮崎駿と青サギと… ~「君たちはどう生きるか」への道~/ Hayao Miyazaki and the Heron
- Date de sortie : 21 novembre 2024
- Festival : Festival de Cannes 2024
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Résumé : Hayao Miyazaki ouvre les portes du studio Ghibli et dévoile les coulisses de la création de son film "Le Garçon et le héron". Neuf années d’une création acharnée, où le réalisateur, poussé par son producteur et complice Toshio Suzuki, repousse jour après jour les frontières de son art. Une véritable plongée dans l’intimité du génie de l’animation.
Critique : Dévoilé dans le cadre de Cannes Classics 2024 à l’occasion de la Palme d’honneur décernée au studio Ghibli, Hayao Miyazaki et le héron est un documentaire son célèbre fondateur, réalisé pour la NHK, la télévision publique japonaise - une série débutée en 2003 et aux épisodes si réguliers qu’il nous donnerait presque le sentiment d’avoir vu le cinéaste vieillir avec nous.
Vétéran de la chaîne, le réalisateur de Hayao Miyazaki et le héron, Kaku Arakawa est d’ailleurs l’un des piliers de cette entreprise, puisqu’il suit lui-même le maître de l’animation japonaise depuis Ponyo sur la falaise, long-métrage sorti en 2008 ; et lui a déjà consacré plusieurs films, dont les quatre épisodes de la mini-série 10 ans avec Hayao Miyazaki (2019).

- © Kaku Arakawa / NHK Japan Broadcasting Corp
Consacré, comme l’indique son titre, à la création du dernier film en date du réalisateur, ce journal de bord montre, de manière inédite, le quotidien du cinéaste aujourd’hui âgé de quatre-vingt quatre ans : de fait, si les récentes immersions au cœur du studio Ghibli, parmi lesquelles The Kingdom of Dreams and Madness (2013) de Mami Sunada et Never-Ending Man (2019) du même Kaku Arakawa, révélaient déjà les doutes, les inquiétudes et les regrets de Miyazaki, nous découvrons pour la première fois ce dernier confronté à l’échec.
Même si certaines séquences donnent l’impression d’être jouées, nous n’en voyons pas moins « Miya-san » reprendre, raturer et finalement jeter un dessin représentant une petite fille, avant d’être finalement contraint de confier à son directeur de l’animation, Takeshi Hondo, le soin de s’occuper de l’expression de son visage qu’il ne parvient pas à saisir. Plus tard, le maître paraît découvrir des images qu’il a pourtant validées quelques jours plus tôt et finir par en déduire que « [s]on cerveau est cassé », tant et si bien que fiction et réalité finissent par se confondre dans son esprit.

- © Kaku Arakawa / NHK Japan Broadcasting Corp
Hayao Miyazaki et le héron a d’abord le mérite de nous dispenser des traditionnelles interviews de spécialistes autoproclamés et des truismes qu’affectionnent les documentaristes occidentaux, lorsqu’ils travaillent sur une matière aussi populaire que les productions du studio Ghibli. Mais on regrettera tout de même que le montage, qui s’étire sur deux heures, s’avère ponctuellement maladroit et que la structure, fondée sur le retour des saisons, finissent par s’avérer un brin répétitive : sans doute Kaku Arakawa aura-t-il été dépassé par la masse d’images qu’il a accumulées au cours des années, ainsi qu’en témoigne le titre de la version courte du film, 2399 Days with Hayao Miyazaki & Studio Ghibli.
Le documentariste n’en réussit pas moins à saisir, outre les habituelles séances de travail intense du maître, ses pauses cigarettes et cafés ainsi que ses passages au onsen (les bains publics japonais), autant de séquences qui donnent à voir, en le mettant à nu, un homme éloigné de la statue que la critique a pu lui ériger : ainsi, le réalisateur y apparaît comme un vieux garnement pouvant être aussi colérique que facétieux, aux préoccupations souvent triviales et qui passe sa vie entre les studios Ghibli et un chalet où il fend du bois et fait la sieste, tant il ne serait « pas doué pour la vie ».

- © Kaku Arakawa / NHK Japan Broadcasting Corp
Mais le documentaire est également l’occasion de proposer des clés de lecture à l’hermétique "ultime" opus du maître, Le Garçon et le héron : la plus convaincante en est indéniablement la dimension autobiographique, même si le long-métrage est une adaptation (en l’occurrence, plutôt libre) du roman Et vous, comment vivrez-vous ? de Genzaburō Yoshino. Le héron du titre représenterait ainsi Toshio Suzuki, le producteur du studio Ghibli, avec lequel il entretient une relation ambivalente : de fait, si leur sincère amitié lui permet de servir d’interface avec les financiers et les médias, leur collaboration est travaillée par une tension permanente, tant Miyazaki est tenté de tout abandonner.
Le spectateur apprendra également que le Grand-Oncle a été pensé comme un avatar d’Isao Takahata, modèle, mentor et frère ennemi de Miyazaki, dont la disparition en avril 2018 avait poussé le réalisateur à quitter sa retraite anticipée pour entreprendre un film présenté comme testamentaire, qui est devenu Le Garçon et le héron. De même, Kiriko, la passeuse du fleuve noir, constitue une évocation de Michiyo Kasuda, coloriste historique du studio, emportée par un cancer en 2016.

- © Kaku Arakawa / NHK Japan Broadcasting Corp
En revanche, nous ne saurons malheureusement pas si Joe Hisaishi, son compositeur fétiche, est représenté dans le film d’animation, tant sa présence dans le long-métrage est fugace. Peut-être est-ce parce que ce dernier fait encore partie du monde des vivants. De fait, le documentaire est jalonné par les décès des collaborateurs d’Hayao Miyazaki et par sa hantise d’être le prochain à partir. Car, devenu octogénaire, le cinéaste, bien qu’il se ressource en distribuant des bonbons aux écoliers du quartier, redoute de ne pas pouvoir terminer son œuvre.
Pire, contre toute attente, « Miya-san » semble prendre peu de plaisir au travail, se demandant régulièrement pourquoi il continue malgré le sentiment d’épuisement qui l’étreint. Néanmoins, même si le documentaire ne montre pas le cinéaste à l’ouvrage sur un nouveau projet, sa scène finale nous révèle qu’il est de toute manière incapable de s’y soustraire : Toshio Suzuki confie que, malgré ses départs répétés, et toujours avortés, à la retraite, « la création est la seule chose qui le sauve ». Mais ne serait-ce pas ce qui fait d’Hayao Miyazaki l’un des véritables artistes du cinéma d’animation japonaise ?
Sorti sur les écrans français pendant deux jours, les 21 et 22 novembre 2024, "Hayao Miyazaki et le héron" est disponible en streaming sur différentes plates-formes depuis le 6 décembre 2024.
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