Le 7 avril 2017
- Titre original : Moi et les autres Petites Personnes on voudrait savoir pourquoi on n'est pas dans le livre
- Scénariste : Perrine Rouillon>
- Dessinateur : Perrine Rouillon
- Editeur : Thierry Marchaisse
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 6 octobre 2016
- Titre original : Moi et les autres Petites Personnes on voudrait savoir pourquoi on n'est pas dans le livre
Perrine Rouillon, le corps d’une écriture
Un petit corps frêle, formé de quelques traits jetés là. Un gribouillage en voix et mouvement qui interroge depuis maintenant vingt ans son émancipation sur les pages blanches de Perrine Rouillon. Une Petite Personne, comme cette parole intérieure qui anime nos pensées les plus intimes, peut-être les plus confuses.
C’est une autobiographie bien singulière que l’auteure nous confie dans Mona Mie, Le diable amoureux et la photocopine, le petit dessin avec une culotte sur la tête ou encore son dernier livre au titre revendicatif, Moi et les autres petites personnes on voudrait savoir pourquoi on n’est pas dans le livre en plus c’est la première fois que je mets mes bras comme ça. Mettant en scène sa propre voix, la faisant dialoguer avec cet être de papier, elle invite à la distance, au silence, aux petits instants qui fragmentent la vie et forment sa puissance. Perrine Rouillon parle d’elles-mêmes, de son écriture, de ses amours, au gré d’une tendre et subtile poésie de la fragilité.
Des mots de son auteure, le petit interlocuteur serait né « d’une spirale. […] une sorte de ponctuation inventée, que j’appelais un « point de retour à moi ». C’était une manière de mettre un peu de corps, un peu de silence, de faire des trous dans mon écriture pour pouvoir m’y mettre. » [1]
Mettre du corps. Un corps, un autre. Sortir peut-être de la solitude de l’écriture et se mettre à dialoguer. On pense au « tu » autobiographique de l’Enfance de Nathalie Sarraute. Une prise de recul salvatrice qui permet de respirer, de ne pas se laisser envahir par soi, ou par ces mots qui en diraient trop. Une « ponctuation » qui laisse trainer la pensée, qui permet l’oubli, et le tu. Ce « tu » paradoxal renvoyant tant au destinataire d’un énoncé qu’au silence. Fragile équilibre entre la parole et son contraire, entre ce qui est, et n’est pas. De même que ce mot « personne » qui oscille entre présence et absence. Qui porte en soi un échange, et peut se décliner en une grammaire du singulier, du pluriel, du moi et de l’autre.
- "Moi et les autres..." de Perrine Rouillon aux éditions Thierry Marchaisse
Dans Moi et les autres Petites Personnes, tout commence par un « yaaa ! », cri martial lancé par ce chétif corps en position d’attaque. S’ensuit une éclosion, trait par trait puis une série d’échanges avec la narratrice/auteure à propos de la création. Celle-ci, dont on ne lit que la voix, fait figure de déesse invisible, de démiurge. Si sa silhouette apparaissait dans le petit dessin avec une culotte sur la tête ou l’abécédaire de la petite personne, elle se désincarne ici tout à fait. Et paraît aller et venir dans sa propre écriture, oscillant entre maitrise et dépossession. La discussion n’est pas suivie, concerne les instants, les interrogations du moment, les observations éphémères.
La Petite Personne en effet, depuis le conte contredit Mona Mie, s’insurge contre le diktat de l’action : « Qu’est-ce que tu fais… /moi ?! pourquoi faut faire quelque chose ? je peux pas juste être ? » Les pages de gauche restées blanches signent ces temps de suspens entre deux scènes qui ne s’encombrent ni de l’avant ni de l’après, et ne s’attachent qu’à l’être là. On y voit du Beckett bien sûr. Et c’est dans l’échec de l’histoire qu’émergent les existences et leur parole. Ainsi la narratrice semble-t-elle mettre en scène des tentatives, échouées, une écriture, empêchée, et pourtant… les pages se tournent et les voix s’impriment.
- "Moi et les autres..." de Perrine Rouillon aux éditions Thierry Marchaisse
« Et c’est la première fois que je mets mes bras comme ça » : le titre nous l’annonce, il s’agira d’une expérience de découverte. De ce personnage qui ne cesse de s’appréhender, à l’instar d’un enfant qui se met à observer et éprouver ce qu’il est, qui prend conscience de son existence de corps pensant et en teste les limites. Dans la seconde partie du livre, la narratrice disparaît, comme un parent qui s’effacerait derrière l’émancipation de son enfant. Dès lors, La Petite Personne prend des risques, aime, flirte avec la Mort, exige aux côtés de ses photocopines des libertés. Puis finit par revenir vers sa créatrice, empêtrée dans ses paradoxes, en pleine crise de confiance, demandeuse de présence, et de sens. Les affres d’une adolescence…
Les livres de Perrine Rouillon sont une négociation, parfois même un rapport de force. Une tendre tension entre l’écrire et le dessiner, l’être et le faire, le dire et le voir, le voir et l’imaginer, le dire et le taire. L’écriture est, comme la Petite Personne, en recherche et se revendique comme telle depuis ses parutions dans les revues, notamment féministes (Histoires d’Elles) des années 70. Héritière sans aucun doute de cette littérature du Nouveau Roman et affiliés, qui énonçait son processus, ses fragilités, se voulait interrogation, hypothèse et non réponse. « Est-ce que tu es une écriture : c’est ça la question… »
Expérimentant le trait comme les mots, elle joue de la trace, du son, de la forme. Le signifié affronte ici son signifiant à la faveur d’une gaie poésie des sens. De la philosophie du temps présent, de l’injonction à être, émerge ainsi la vitalité de la matière, de ce qui se voit et s’entend. Les lettres d’un mot, comme ses sonorités, la longueur d’un trait ou le mouvement d’un geste. Faire de l’écriture un corps, aux textures variées, aux élans contredits, au charme des ses humilités.
176 pages - 19 €
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