Le 7 septembre 2024
Techniquement soigné et narrativement efficace, le film confirme l’humanisme du réalisateur. Mais il est desservi par un ton lacrymal et des invraisemblances.
- Réalisateur : Matteo Garrone
- Acteurs : Princess Erika, Oumar Diaw, Hichem Yacoubi, Bamar Kane, Seydou Sarr, Moustapha Fall, Afif Ben Badra
- Genre : Drame, Teen movie, Drame social
- Nationalité : Français, Italien, Belge, Luxembourgeois
- Durée : 2h04mn
- Date télé : 25 septembre 2024 21:00
- Chaîne : Canal+ Cinéma
- Titre original : Io Capitano
- Date de sortie : 3 janvier 2024
- Festival : Rencontres cinématographiques de Cannes, Festival de Venise 2023, Arras Film Festival 2023
Résumé : Seydou et Moussa, deux jeunes Sénégalais de seize ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin, les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.
Critique : Matteo Garrone a toujours eu la fibre sociale dans le contenu de ses longs métrages. On songe au terrifiant film choral sur les ravages communautaires de la mafia qu’était Gomorra, au poissonnier piégé par les mirages de la téléréalité dans Reality, ou au déterminisme en banlieue déshéritée de Dogman. Il n’était donc pas étonnant de voir le réalisateur s’emparer à nouveau du thème de l’immigration, qu’il avait déjà abordé dans son premier film, Terra di mezzo. Coécrit avec Massimo Gaudioso, Massimo Ceccherini et Andrea Tagliaferri, Moi capitaine est basé sur une approche documentée et de nombreux témoignages. Garrone indique ainsi dans les notes d’intention : « Avant de réaliser ce film, je connaissais, par le prisme des médias, les péripéties et atrocités subies par les migrants au cours de leurs longs voyages. Cependant, ces images concernaient quasi exclusivement la dernière partie du périple : des embarcations retournées en pleine mer, des cadavres flottants, des migrants désespérés implorant de l’aide, l’habituel décompte des morts et des vivants. Je m’étais malheureusement habitué à n’y voir que des chiffres, et non plus des êtres humains ».
- © 2023 Archimede, Rai Cinema / Pathé. Tous droits réservés.
La narration adopte donc le point de vue du migrant, et non pas de l’accueillant occidental, pour rendre compte des souffrances endurées. En l’occurrence, Moi capitaine se focalise sur le parcours d’un jeune Sénégalais, Seydou, partant de son Dakar natal avec son cousin et ami, pour tenter sa chance en Europe. Techniquement soigné, disposant d’un budget relativement aisé, tout en s’inscrivant dans une mise en scène sobre, Moi capitaine se laisse voir et comporte une part indéniable d’efficacité. Il confirme aussi l’humanisme indéniable de Garrone, qui s’inscrit dans une certaine tendance du post-néoréalisme italien. De la convivialité des habitants du village à la bienveillance d’un migrant qui protège un temps Seydou, en passant par la cruauté des passeurs et autres géôliers, toute la gamme des sentiments de l’homme est exprimée.
- © 2023 Archimede, Rai Cinema / Pathé. Tous droits réservés.
Pour autant, Moi capitaine est peu convaincant. Sous l’alibi du synopsis « tiré d’une histoire vraie », le réalisateur se noie dans les invraisemblances (on peine à croire aux péripéties diverses de ce gamin dans le film, bien que les faits soient authentiques) et abuse d’une avalanche d’angélisme et de guimauve, plus proche de Spielberg que de Rossellini. On pourra par ailleurs juger déplacées et grandiloquentes deux séquences oniriques. Loin des réussites de films ayant abordé la thématique des migrants, de America, America de Kazan à Tori et Lokita des Dardenne, Moi capitaine n’évite pas toujours le sensationnalisme et le manichéisme, dans la lignée de La cité de la joie de Roland Joffé et autres pensums consensuels. Mais s’il parvenait à faire reculer le racisme et la xénophobie d’une partie de la population vis-à-vis des migrants, cela serait toujours bon à prendre. Mais on s’écarte ici des enjeux de l’art cinématographique.
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AnnaB 18 février 2024
Moi capitaine - Matteo Garrone - critique
Je ne m’arrêterai pas à la critique purement cinématographique de Gérar Crespo , mais à cette petite phrase : "le réalisateur se noie dans les invraisemblances (on peine à croire aux péripéties diverses de ce gamin) et abuse d’une avalanche d’angélisme et de guimauve, plus proche de Spielberg que de Rossellini".
Alors arrêtez de peiner ! Ce film, joué par de jeunes exilés, solidement documenté, ne peinez pas à le croire. Je vis parmi des jeunes ayant traversé ces épreuves. Et je ne compte plus les échanges informels en mode anciens combattants après le repas, "ah la la, la Libye c’était dur" au cours desquels ils comparent leurs péripéties diverses, en faisant quelques pauses silencieuses à regarder leurs mains, ou en laissant des flous artistiques autour des zones les plus atroces, tout comme le fait le film. Autorisez-vous à croire que c’était pire, vous serez toujours dans le vrai.
Quant aux séances oniriques, elles ne sont que ce court-circuit de l’esprit qui se produit lorsque nous ne pouvons plus tolérer la réalité, ce petit moment d’envol qui permet une pause, cette mini-folie qui peut présager de la décompensation psychotique qui nous guette pendant ce deuxième temps de souffrance qui suit l’arrivée en Europe.
Reste l’avalanche d’angélisme et de guimauve en mode Spielberg ? Pour moi qui vis parmi eux, je ne l’ai pas perçue dans le film. Serait-ce parce que les émotions ou bonnes actions représentées sont réelles, elles aussi ? Eh bien figurez-vous que peut-être !
Un jeune m’a confié : on ne croit pas à mon jeune âge parce que j’ai vécu des choses qu’un enfant ne devrait même pas voir. Quand je serai assez grand, je voudrais faire un film pour montrer tout ça. J’espère que s’il le fait, votre critique sera plus douce.