Critique : Le décor est planté dès les premières pages : l’Humanité arrive au bout de la destruction de la planète. La misère règne parmi la classe laborieuse, nourrie par des rations exécrables, s’éreintant à construire les vaisseaux du salut des nantis, dans l’espoir d’aller habiter sur une autre planète. Alexander, devenu orphelin, ne parvient pas à se faire recruter comme main d’œuvre sur le Normandie, l’un des premiers vaisseaux qui doit quitter la Terre. Il décide d’aller explorer la campagne malgré les dangers, pour trouver de quoi revendre.

Écrit sous la forme d’un journal à la première personne, le récit devient plus introspectif lorsqu’Alexander rencontre le Duc. Dans une scène qui n’est pas sans rappeler La Belle et la Bête, il décide alors de devenir Alix, à la merci de son maître, en échange de l’opulence et du luxe de sa nouvelle vie. La relation qui se noue dès lors entre les deux hommes ne sera qu’ambiguïté, entremêlant les figures de l’amant soumis et de l’héritier, celle du disciple et de l’esprit libre, juxtaposant amour et répulsion.

Paradoxalement, cette soumission volontaire cause aussi l’émancipation du jeune homme. De plus, le style littéraire conserve la pudeur des amants : jamais leur relation n’est clairement explicitée au lecteur ou exposée au reste du monde. Si ce procédé empêche un jugement tranché sur leur lien, il permet aussi de distiller le malaise. Alix n’a pas d’autre choix que de se soumettre aux abus sexuels du Duc, sans quoi ses privilèges pourraient lui être retirés. Cet enfermement ne relève pas d’une emprise, il s’agit d’un moyen d’échapper à la misère.

Le thème de l’enfermement est partout dans le livre : dans la condition sociale, sur cette Terre devenue inhabitable, dans ce vaisseau trop exigu et jusque dans les interactions humaines, désormais conditionnées par la survie.
La force du récit surgit à travers une plume toujours alerte, un lexique simple mais explicite, et surtout une concentration de l’intrigue sur l’émancipation du personnage principal, qui nous oblige à nous demander ce que nous ferions en pareilles circonstances.

Se délestant de la morale et des détails techniques, le roman devient alors une fresque des sentiments humains, ceux des opprimés, des victimes, des amoureux et des visionnaires. Comme dans un roman picaresque, Alix traverse la quête initiatique de la recherche de son identité : celle qu’il veut donner à voir, celle qu’il aura choisie, celle qu’il aura construite tout au long de son parcours.