Nier l’évidence
Le 23 novembre 2005
Un documentaire d’une renversante limpidité sur l’impossibilité d’oublier. Quand le passé dévore le présent.
- Réalisateur : Guillaume Moscovitz
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
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– Durée : 1h40mn
Un documentaire d’une renversante limpidité sur l’impossibilité d’oublier. Quand le passé dévore le présent.
L’argument : Presque oublié dans l’histoire de la Shoah, Belzec est chronologiquement le premier camp d’extermination de l’Aktion Reinhard, le plan nazi d’extermination des Juifs des territoires de la Pologne occupée. Sa destruction intégrale dans les premiers mois de l’année 1943, presque un an avant le démantèlement des camps de Sobibor et de Treblinka, témoigne de la volonté nazie d’effacer les traces de l’extermination des Juifs d’Europe. Le meurtre de masse industrialisé du peuple juif par les nazis ne s’est pas arrêté aux meurtres des vies, il a continué avec la destruction des cadavres de ceux qui avaient été exterminés : effacement des corps, des noms et des lieux. Le cinéaste revient sur les lieux pour tenter de filmer les séquelles de l’effacement.
Notre avis : Belzec : ce nom ne vous dit sans doute rien. Il s’agit pourtant de l’un des principaux camps d’extermination construit en Pologne, où il est estimé que près de six cent mille Juifs furent massacrés. Pour son premier film, Guillaume Moscovitz a choisi de revenir sur les lieux du drame, pour voir, plus de soixante ans après, ce qu’il en reste. Sauf qu’ici, il n’y aucune de ces ruines-qui-en-disent-long, aucune trace matérielle. Juste une forêt, d’une banalité insoutenable, les Allemands ayant pris soin, lors du démantèlement du camp, de brûler les cadavres et de planter des pins. Disparu donc, le camp, dans un élan de négationnisme. Effacé. Tout comme les deux seuls survivants du massacre, morts avant la réalisation de ce documentaire. Reste donc la mémoire des habitants du village, et le témoignage bouleversant de cette femme, alors enfant, qui survécut en se cachant sous terre pendant deux ans, un peu à l’écart du camp.
Suivant la voie tracée par Claude Lanzmann (et son Shoah, dont l’influence traverse tout le film, sans jamais l’éclipser), Moscovitz réalise un documentaire au présent, choisissant d’interroger les lieux, les visages, sans avoir recours à des images d’archives. Avec Belzec, le réalisateur part donc à la recherche d’un passé invisible, effacé, et cherche à déterminer comment, en filmant une forêt, faire comprendre l’ampleur de la tragédie qui s’y déroula. Problème apparemment insoluble qu’il surmontera avec brio. Nous ne sommes finalement pas si loin de la démarche d’un Rithy Panh qui filmait, dans S21, des tortionnaires Khmers rouges en train de reproduire les gestes qu’ils effectuaient alors.
Les traces sont pourtant là, discrètes mais terrifiantes. Ces résidus d’os enfouis au fond de la terre, ces morceaux de béton reposant entre deux pins, comme des cicatrices trop profondes pour être effacées. Et ces villageois qui ont vécu le drame à distance, dont certains prétendent ne pas avoir su ce qu’il s’y passait. Lors d’un entretien édifiant (où la réalité se fait plus glaçante que n’importe quelle fiction), un homme évoque avec entrain ses années de jeune stagiaire à la compagnie ferroviaire, et son indifférence par rapport aux convois de Juifs qui transitaient à la gare avant de se rendre au camp (“Ils ne me dérangeait pas, je travaillais à l’intérieur du bâtiment”).
Décidément, le travail de mémoire reste toujours aussi indispensable, et Belzec y contribue grandement. Il véhicule le sentiment, qui n’a jamais été aussi vif, que cela pouvait arriver partout, dans les endroits les plus insoupçonnables, et se fait l’écho de cette folle tentative de vouloir effacer le passé. Car celui-ci nous rattrape toujours, jusque dans le détails les plus aberrants. Jusque dans la couleur de l’herbe qui indique la présence de fosses communes.
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