Résumé : Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l’attaque contre l’ennemi allemand. Les soldats s’élancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sénégalais, parmi tous ceux qui se battent alors sous le drapeau français. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d’Alfa, son ami d’enfance, son plus que frère. Le protagoniste se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s’enfuit. Lui, le paysan d’Afrique, va distribuer la mort sur cette terre sans nom. Détaché de tout, y compris de lui-même, il répand sa propre violence, sème l’effroi. Au point d’effrayer ses camarades. Son évacuation à l’Arrière est le prélude à une remémoration de son passé en Afrique, tout un monde à la fois perdu et ressuscité, dont la convocation fait figure d’ultime et splendide résistance à la première boucherie de l’ère moderne.

Copyright Editions du Seuil, 2018

Notre avis : Impuissant devant le feu des armes, Alfa Ndiaye ne pourra empêcher la mort de son « frère d’âme » : « Nous sommes plus que frères, puisque nous nous sommes choisis ». Pas plus qu’il ne trouvera la force de stopper son agonie. La fin atroce de son ami le fera sombrer dans la folie. Tel un « fou dangereux », Alfa Ndiaye répandra la mort autour de lui, dans des tueries sans merci pour ses ennemis. Sa bravoure lui attirant d’abord l’admiration de ses compagnons, avant de leur inspirer la terreur vis-à-vis de ce « soldat sanguinaire », pour qui aucune limite dans l’horreur ne semble permise. Il devient alors le « sauvage », le « sorcier », « le dévoreur du dedans des gens », et sera évacué à l’Arrière.
L’Arrière, c’est la dernière ligne de front. Lieu de repos entre deux attaques à l’Avant pour certains, lieu de pénitence selon d’autres. Pour notre héros, il s’agira de tenter de reprendre goût à la vie, en trompant la mort.
Entre «  Les Toubabs et les Chocolats d’Afrique noire », Alfa Ndiaye, dans une longue complainte, va alors nous conter sa condition de tirailleur sénégalais. Écrit dans un style répétitif, proche de la scansion, la narration se transforme en véritable chant traditionnel. Alfa le griot, face à l’horreur de la guerre, se fait le chantre de la paix et entonne un chant de résistance à l’une des plus grandes boucheries humaines.
«  Tant que l’homme n’est pas mort, il n’a pas fini d’être créé  », nous rapporte-t-il dans ce proverbe peul. A travers cet ode à l’amitié et à la liberté, David Diop nous invite, au fil d’une poésie sensible et inspirée, à croire encore en l’espoir et en la paix, car «  la nuit, tous les sangs sont noirs  ».