Notre avis : Il s’agit là d’un récit extraordinaire, dans tous les sens du terme. C’est aussi le dernier du grand écrivain Stefan Zweig, privé de son pays, exilé dans la honte de ce qui vient d’advenir. Le joueur d’échecs en porte les stigmates. Vertigineuse nouvelle, hantée par deux forces antagonistes...
Qui est ce mystérieux Mirko Czentovic, programmé pour gagner, mais incapable de concevoir sa vie intellectuelle en dehors d’un quadrillage de soixante-quatre cases ? L’"oiseau rare" fait partie de ces monomaniaques tendus vers leur but, balayant d’un revers de main ce qui les entrave ou ne les concerne pas. Par la plus fortuite des circonstances, le champion, voyageur sur un paquebot, rencontre un adversaire d’autant plus redoutable que celui-ci surgit comme une mauvaise conscience ou un secret enfoui. Pour la première fois, Czentovic voit ses plans contrariés, son invulnérabilité mise à mal. D’où sort cet l’adversaire ? Par quel prodige parvient-il à contrer le maître, lui qui se présente d’abord comme un dilettante, dont la pratique des échecs s’avère pour le moins sporadique ? Les raisons de cet invraisemblable coup de théâtre sont terribles : elles interpellent notre conscience et notre faculté à saisir ce que, pour reprendre les mots d’un critique analysant dernier film de Pasolini, "des hommes sont capables de faire à d’autres hommes".

************************************************************

"Qualifier les échecs de jeu, n’est-ce pas déjà les réduire et commettre une injustice ?
Ne sont-ils pas aussi une science, un art, quelque chose qui plane entre ces deux pôles comme le cercueil de Mahomet entre le ciel et la terre, une incomparable association de tous les contraires ?"