Phares du Nord - Salon du livre 2003
Le 26 mars 2003
Une oeuvre construite sur le traumatisme de la shoah et du nazisme. En témoigne, une fois encore, son nouveau roman.
- Auteur : Harry Mulisch
- Editeur : Gallimard
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Le traumatisme de la shoah et du nazisme ont construit l’oeuvre littéraire de Harry Mulisch. Un peu à la façon d’une figure imposée. Le traumatisme n’est pourtant pas facile à soigner. Mulisch est né d’une mère juive et d’un père austro-hongrois, qui a collaboré avec le régime nazi durant la guerre. Comment se situer, comment s’accepter et se comprendre ? C’est la question latente portée par les ouvrages de Mulisch, l’éternel conflit intérieur.
La réédition de L’affaire 40/61 réunit les chroniques du jeune journaliste qu’était, en 1961, Harry Mulisch, chargé de couvrir le procès Eichmann pour un hebdomadaire allemand. Déjà, l’écrivain ne laissait guère planer de doutes sur les motivations profondes l’ayant conduit à suivre ce procès historique : "On ne m’a pas demandé de faire ce reportage, j’ai proposé de le faire, l’affaire Eichmann me concerne plus que je n’en ai conscience ; ce lien va au-delà d’un quelconque lien thématique avec d’autres ouvrages que j’ai écrits ou que j’écrirai : à travers mon travail, elle me guide dans ma quête d’une réponse."
L’homme se cherche, tente de trouver une explication à l’attitude d’un père ayant opté pour le camp de l’horreur. Ce procès se déroule en Israël, dans un pays déjà en proie à une guerre territoriale. Entre compte rendu du procès, promenades au coeur d’un état en pleine construction, réflexions sur l’origine et les causes du régime nazi, visites des camps de concentration, Mulisch tente d’exorciser ses fantômes, ses cauchemars et sa culpabilité. Document historique et littéraire, cet ouvrage recèle une authenticité (une naïveté ?) impudique et gênante, tant l’écrivain implique sa personne et sa conscience.
On se demande en revanche où Mulisch souhaite en venir avec ce Siegfried, roman basé sur la personnalité de Hitler... Rudolf Herter est un vieil écrivain à succès qui affirme, lors d’un entretien télévisé, que la seule et unique manière d’appréhender Hitler est, avec le recul, d’en faire un personnage de fiction. Un couple voit Herter à la télé et se décide à lui raconter son histoire. Engagés par Hitler comme gens de maison, Julia et Ulrich Falk détiennent un secret le concernant. Le Führer a eu un enfant avec Eva Braun, que les Faulk ont élevé avant de l’exécuter, sur ordre du dictateur. La fiction de départ perd peu à peu en crédibilité, avant de tourner en une longue considération philosophique sur Hitler et Nietzsche. Un peu étrange... Le récit de fiction fournit un prétexte facile pour démontrer que le personnage de Hitler, né au moment où Nietzsche sombrait dans la folie, n’incarnait rien d’autre qu’une "preuve ontologique du néant".
Mulisch cherche-t-il ici à excuser l’inexcusable ? A expliquer une folie meurtrière ? Le discours se perd dans une espèce de tourbillon dans lequel l’auteur est lui-même entraîné et finit par se noyer. On regrette l’écrivain inspiré de La découverte du ciel (1992), le roman le plus achevé, le plus lu et le plus commenté de Mulisch. Cet ouvrage, que beaucoup considèrent comme son chef-d’oeuvre, reste une référence incontournable du parcours de l’écrivain. Un récit dans lequel son érudition se mêle intelligemment à une trame narrative originale et bien menée, où il nous berce d’une poésie propice aux rêves, incluant une réflexion sur la condition humaine et les forces régissant les destins...
Avec Siegfried, Mulisch montre à quel point il demeure tributaire de ses démons. Il y a peu, après l’assassinat de Pim Fortuyn, l’écrivain avait fait scandale en prenant position pour l’extrémiste néerlandais dans un quotidien allemand. On mesure malheureusement la longueur du chemin qui sépare l’auteur de L’affaire 40/61 et celui de Siegfried...
HARRY MULISCH |
Harry Mulisch, Siegfried : une idylle noire (Siegfried : een zwarte idylle, traduit du néerlandais par Anita Concas), Gallimard, Du monde entier, 2003, 190 p., 16,90 euros
Harry Mulisch, L’affaire 40/61 (De Zaak 40/61, traduit du néerlandais par Mireille Cohendy), Gallimard, Arcades, 2003, 263 p., 14,50 euros
Photo Harry Mulisch, © Jacques Sassier/Gallimard
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