Critique  : L’un rêve de devenir l’écrivain qui marquera l’Histoire (Paul), l’autre préfère simplement exercer sa plume dans un magazine en désuétude (Henri). Dans le récit de ces vies parallèles, c’est finalement l’ironie qui triomphe, jusqu’à la fin du roman. Le livre s’ouvre sur la mort de Paul, et plus précisément sur sa nécrologie parue dans Le Monde.

Henri, incarnation d’une amitié née de l’époque de l’espoir et des ambitions, se voit confier dans un message testamentaire la lourde tâche d’écrire la biographie de celui qui a vendu son talent au diable de l’économie. Il l’accepte, par amitié, mais aussi par curiosité, pour mieux comprendre le parcours d’un idéaliste qui s’est laissé rattraper par la réalité. Avec une question en tête : Paul l’idéaliste s’est-il entièrement perdu lui-même ?

« Mieux vaut se faire piquer par un scorpion que de voir le showbiz se pencher sur votre berceau  : complaisance feinte, mauvais conseils, lavage de cerveau, mondanités débilitantes et cocaïne achèvent en un rien de temps de lobotomiser les talents prometteurs ». (page 192)

Nous voilà prévenus  ! Car le livre n’est pas tant celui d’une enquête qu’un pastiche du monde littéraire, où l’on tente de reconnaître les personnages parfois caricaturaux dépeints par l’auteur, les connivences entre les milieux et où on souligne encore et toujours l’entre-soi d’une intelligentsia drapée dans son snobisme.

La finesse se trouve dans ce portrait de Paul qui ne relève pas de l’archétype. L’auteur parvient, en nous racontant ses errances, à en faire un personnage complexe. Le narrateur entretient un rapport pudique à son ami Paul. Mais en écrivant son hommage, il souhaite avant tout savoir être juste, dans l’équilibre, sans sarcasme ou tendresse appuyée. C’est la raison pour laquelle il cherche tant à comprendre les circonstances de sa mort, évidentes au premier abord.

Après quelques chapitres initiaux où l’on peut se sentir étranger à ce milieu littéraire parisien, on se laisse volontiers happer par le personnage principal, sous les yeux de son ami. C’est à ce moment-là que l’émotion peut apparaître, au moment où Henri se rend compte que Paul va mal, et qu’on n’y peut rien. Certes, le roman s’appuie largement sur les Illusions perdues, mais Paul n’est pas Lucien de Rubempré. Il n’est pas simplement un provincial qui veut réussir à la capitale, il interroge le principe même de réussite sociale, de ce qu’il convient d’écrire aujourd’hui, de ce qui doit être lu. L’auteur tente d’y répondre à ces questions : en quoi les chiffres de ventes exercent-ils une influence et a-t-on besoin d’un auteur pour nous raconter le monde en 2023 ?

Évidemment, ceux qui se rêvaient en grands écrivains ne seront jamais que de petits farceurs. C’est une vérité modeste, à l’image des rêves de tout un chacun, où le revers de la médaille apparaît dans des motifs contrastés. Le roman rend hommage à ces idéalistes, à ceux qui tentent d’être reconnus et que leurs velléités risquent d’abîmer. Divertissant, parfois plus profond qu’il n’y paraît, cette farce réussit son pari littéraire.