Le 14 octobre 2025
The Chronology of Water signe la naissance de Kristen Stewart cinéaste, qui impose d’emblée une vision passionnée et viscérale.
- Réalisateur : Kristen Stewart
- Acteurs : Kim Gordon, James Belushi, Imogen Poots, Thora Birch, Tom Sturridge, Charlie Carrick
- Genre : Drame, Biopic, Film pour ou sur la famille
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 2h08mn
- Date de sortie : 15 octobre 2025
- Festival : Festival de Cannes 2025, Festival de Deauville 2025
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Résumé : Ayant grandi dans un environnement ravagé par la violence et l’alcool, la jeune Lidia peine à trouver sa voie. Elle parvient à fuir sa famille et entre à l’université, où elle trouve refuge dans la littérature. Peu à peu, les mots lui offrent une liberté inattendue…
Critique : The Chronology of Water marque l’émergence d’une cinéaste singulière : Kristen Stewart. Son film est une plongée sensorielle dans les eaux troubles de la mémoire, porté par une mise en scène lyrique et organique. C’est un long métrage qui ne cherche ni à séduire ni à rassurer, mais à brûler, mettre à nu, et c’est dans cette radicalité que réside toute sa puissance. Derrière la caméra, elle libère une fougue viscérale, comme si un feu ancien, contenu depuis des siècles, trouvait enfin son exutoire. Son film se déploie tel un maelstrom de sensations brutes et d’images d’une poésie incandescente, où la sublimation naît du chaos intérieur. À travers le flux de conscience d’une héroïne cabossée, portée avec une intensité bouleversante par Imogen Poots, Stewart trace un chemin fragile mais lumineux vers la délivrance. En adaptant l’œuvre de Lidia Yuknavitch, elle ne cherche pas à illustrer un récit, mais à en faire l’expérience. À retranscrire, par l’image, les sensations qu’elle a éprouvées en lisant le texte, et celles vécues par l’autrice elle-même, victime d’inceste durant son enfance. Stewart nous immerge dans une douleur si profondément ancrée dans la chair qu’elle contamine l’esprit, devenant motif, matière, vertige. Lidia, dépossédée de toute forme de contrôle, réalise qu’elle est enfermée dans une existence qu’elle ne gouverne pas, malgré ses luttes. Accablée, elle se persuade de son échec : ni nageuse accomplie, ni professeure émérite, ni écrivaine prometteuse, ni mère, ayant donné naissance à un enfant mort-né, comme si le don de la vie lui avait été lui aussi enlevé, ni épouse digne. Elle se perçoit comme un être consumé, vidé de toute valeur. Dans une tentative désespérée de reprendre les rênes de sa vie, elle se jette dans l’écriture avec une ferveur quasi autodestructrice. Ce geste devient catharsis, une manière d’exorciser sa douleur et de lui donner une forme tangible. Il me vient cette image d’une mine d’un crayon qui se brise sous la frénésie de vouloir plaquer des mots sur le mal-être. Le drame de Lidia réside dans cette lutte incessante pour se forger une identité artistique, pour affirmer son existence dans une vie dissoute, où même l’amour semble s’être évanoui, devenu lui aussi violent. Dans cette frénésie de vouloir dompter un esprit en perdition, Kristen Stewart nous fait ressentir, comme rarement au cinéma, l’exaltation et les désillusions de la littérature comme pansement au traumatisme. Lidia passe son temps à fuir son propre film, alors même qu’elle tente d’en reprendre le contrôle, de s’approprier le roman de sa vie, d’imposer sa voix. Car cette histoire est aussi celle de la réappropriation d’un corps sans cesse violenté, martelé, depuis l’enfance. Et c’est par la mise en scène que Stewart orchestre cet acte de mémoire et de réparation : une tentative de redonner à Lidia une voix, une identité, au-delà des projections et des violences subies.

- Imogen Poots
- © 2025 Les Films du Losange. Tous droits réservés.
Cependant, The Chronology of Water, c’est aussi une image récurrente : l’eau. La mer. Lidia s’y immerge, comme pour fuir le memento mori qui la hante tout au long du récit. Être sous l’eau, c’est basculer dans une autre dimension, un monde parallèle, fragmenté, où surgissent des visions enfouies, devenues presque subliminales. Chaque mot appelle une image, chaque image un sens, chaque sens un souvenir, et chaque souvenir ramène au même traumatisme : le visage du père. Non pas monstrueux, mais familier, émacié, absent, au regard trouble, une présence spectrale, prête à bondir. Kristen Stewart nous entraîne dans ce gouffre, dont on ne ressort qu’à la toute fin du film. Elle mobilise tous les moyens cinématographiques à sa disposition pour faire ressentir, au-delà du récit d’inceste, quelque chose de l’expérience féminine, de ce que signifie devenir femme dans un monde hostile. Le montage heurté, proche du livre d’images, épouse le flux de conscience : l’esprit saute de nénuphar en nénuphar, cherchant une vérité fuyante. Le travail sonore est tout aussi radical : une tape sèche sur une fesse, infligée par un professeur de natation, donne à sentir physiquement l’agression sexuelle ; le bourdonnement de l’eau traduit l’engloutissement mental ; des cris stridents, presque insupportables, incarnent l’incommunicabilité d’une dispute conjugale ; les chuchotements extra-diégétiques de l’héroïne tentent de contenir le vertige. Une séquence, en particulier, cristallise le projet du film : deux mondes cohabitent en ping-pong. D’un côté, Lidia lit publiquement son roman, d’une voix monotone, presque éteinte, comme en attente. De l’autre, son monde intérieur explose : rouge sang, visage déformé par les néons, voix incarnée, exaltée, éraillée, mais portée par une rage créatrice. Cette dichotomie entre la pulsion artistique et la colère originelle est au cœur du film. Stewart ne filme pas un récit : elle filme une lutte. Elle restitue à Lidia une empreinte mémorielle, là où son corps n’était qu’une image figée, cannibalisée par son père et d’autres hommes pour nourrir leurs fantasmes. Ce que Kristen Stewart nous montre, c’est un monde qui ne voit en elle qu’une énergie vitale à consommer.

- Thora Birch, Imogen Poots
- © 2025 Les Films du Losange. Tous droits réservés.
The Chronology of Water se vit comme une expérience fiévreuse, viscérale. Certains y verront un objet saturé de fioritures stylistiques, un film trop chargé, presque aliénant. Mais c’est précisément là le geste de Kristen Stewart : refuser la copie conforme, l’adaptation sage, l’essai arty sur la quête de soi. Elle ne cherche ni à illustrer le texte de Lidia Yuknavitch, ni à le commenter. Elle le dépasse, le digère, pour mieux se forger une identité de cinéaste, une identité qui se construit et se déploie sous nos yeux. C’est une déflagration, un cri du cœur, celui d’une artiste déjà en rébellion contre une société patriarcale avilissante. Elle livre une œuvre organique, presque tactile, où les fluides semblent palpables, où la mise en scène devient corps, matière, pulsation. Tout est physique, au service du propos. Ce que Stewart nous donne à voir, avant tout, c’est le chemin d’une artiste capable de transformer le traumatisme en langage, la douleur en forme, la mémoire en cinéma. Une œuvre de reconstruction, de sublimation, de retour à soi. Et l’on assiste, ébloui, à la naissance d’une cinéaste. Un moment rare, précieux, dans notre cinéphilie.
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