Le 11 novembre 2025
Dans un récit percutant, Adania Shibli aborde la question du point de vue en faisant résonner les vies de deux palestiniennes, à une génération d’écart, la seconde enquêtant sur les atrocités subies par la première.
- Auteur : Adania Shibli
- Collection : Sindbad
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman
- Nationalité : Palestinienne
- Traducteur : Stéphanie Dujols
- Titre original : Tafsil Thanawi
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
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– Date de publication : novembre 2020
Résumé : Dans le Néguev, en 1949, une jeune Bédouine palestinienne, est violée, puis enterrée inconsciente par une unité militaire de Tsahal, l’armée israélienne. Vingt-cinq ans plus tard, une jeune Palestinienne voit le jour, et ce personnage fictif enquêtera sur ce qu’on appelle l’affaire Nirim, avérée, et révélée par le quotidien israélien Hareetz en 2003.
Critique : Un roman en deux parties, pour autant de points de vue sur une même affaire. Ou plutôt, un point de vue et son autre versant, celui de la victime, effacé, qu’on tente de déterrer au gré des souvenirs et des archives parfois impossibles à collecter. En 1949, alors que l’État israélien s’installe dans un territoire qu’il considère sien par principe, Tsahal, son armée, garde ses avant-postes dans le Néguev, vers la frontière avec l’Égypte, dont celui de Nirim. Les 12 et 13 août 1949, durant ce que les Palestiniens appellent la “Nakba” (“désastre” en arabe), durant laquelle 800.000 d’entre eux sont forcés à l’exil, une jeune Bédouine est violée par une unité militaire, aux abords de Nirim.
Adania Shibli adopte, pour raconter cet épisode à la limite du soutenable, la troisième personne, nous faisant entrer dans l’errance mentale du commandant de l’unité, principal coupable du viol, et abordant les faits de manière assez descriptive et sans jugement, gardant une distance qu’on pourrait autant rapprocher de la démarche d’une journaliste que celle d’une romancière.
La cruauté de l’épisode est retranscrite avec une froideur tétanisante, expliquant pourquoi le commandant de l’unité ne perçoit l’atrocité qu’il commet d’aucune manière : il ne considère pas cette jeune fille humaine. Il cherche les Arabes comme il chasse les insectes dans sa caserne, par nécessité et par habitude, plus ennuyé par le sable et la chaleur que les vies bédouines alentour.
Une ellipse temporelle nous amène une cinquantaine d’années plus tard, avec un passage à la première personne, ce qui suggère que notre personnage pourrait être l’autrice. Adania Shibli utilise sa première partie comme base à son propos d’une étonnante richesse compte tenu du caractère resserré de la narration, qui tient sur un peu plus de cent pages. À travers le parcours de notre enquêtrice, le lecteur ne vit pas une simple enquête sur cette affaire Nirim.
Pour mener sa mission à bien, elle a besoin de se rendre dans des zones qui ne lui sont pas accessibles de facto. Elle nous fait vivre la somme de petites humiliations qu’elle subit, au quotidien, notamment dans ses restrictions de mouvement au sein du territoire national. Elle rend aussi compte de la supplantation de sa culture par la culture israélienne, notamment en référant à une petite carte d’avant la Nakba : elle ne reconnaît plus les villages disparus, ni les noms, autrefois arabes, remplacés.
Très vite, elle réalise non seulement que l’Histoire peut bégayer, à travers des réminiscences sensorielles, mais aussi que l’effacement des histoires de vies palestiniennes constitue le moyen le plus sûr de les déshumaniser. Elle aura alors bien du mal à lutter contre l’institutionnalisation du secret, et l’altération des mémoires.
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