Le 2 mars 2025
Après l’éblouissant L’arbre, André Gil Mata se transforme en un peintre subtil du temps qui passe et des émotions qui s’impriment dans la mécanique subtile du quotidien de deux femmes, une domestique et sa maîtresse.


- Réalisateur : André Gil Mata
- Acteurs : Márcia Breia, Eva Ras, Catarina Carvalho Gomes, Dinis Gomes
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Portugais
- Distributeur : ED Distribution
- Durée : 1h52mn
- Titre original : Sob a chama da candeia
- Date de sortie : 9 avril 2025

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Résumé : Au Nord du Portugal, deux femmes partagent leur quotidien depuis soixante ans dans une maison qui semble encore habitée par les générations qui les ont précédées. Présent, passé proche et lointain cohabitent dans cette demeure imprégnée de souvenirs et de fantômes. Alzira, la maîtresse des lieux, s’est consacrée à un mari austère, renonçant à son goût du piano et de la peinture. Beatriz, la domestique, a dédié sa vie à l’entretien du lieu et aux enfants d’Alzira. Elles sont désormais arrivées au soir de leur vie. Beatriz se plaint de son corps fatigué. Alzira, libérée par la mort de son époux, prend pour la première fois une décision qui n’appartient qu’à elle.
Critique : D’abord, c’est ce clocher, sis entre les toits des maisons ; puis, lentement, la caméra descend sur un plancher de fleurs, se prolonge sur l’écorce d’un arbre et se termine sur le seuil de la maison, l’endroit même où subtilement André Gil Mata va dérouler près de soixante ans d’existence de cette mère de famille, qui renonce à la peinture et au piano pour se consacrer à sa vie d’épouse, et une domestique, occupée seulement à prendre soin des autres. La caméra ne s’arrête pas là et emprunte, à de multiples reprises, un long cheminement entre les pièces, comme si elle visitait cette fois la chair ouverte de cette famille, hantée par les non-dits. Avec l’émergence des drones, on aurait presque oublié le pouvoir suggestif et merveilleux des steadicams, l’une des plus célèbre étant celle d’Hitchcock qui serpente autour de l’escalier de la maison diabolique dans Psychose. André Gil Mata revient à un cinéma des origines, un cinéma qui prend le temps de creuser la psychologie des personnages, dans un ensemble de plans, tous pensés comme des tableaux de peinture. Les couleurs sont absolument magnifiques, à travers lesquelles les personnages s’insèrent comme des vignettes figurant l’écoulement du temps.
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Car À la lueur de la chandelle raconte plusieurs époques dans ce lieu unique qu’est la demeure. Seul le mouvement de la caméra qui circule depuis le clocher jusqu’au perron de la maison, rappelle les liens de cette famille avec l’extérieur. Mais l’essentiel se situe dans la répétition des gestes du quotidien, presque à la façon de Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles, le chef-d’œuvre de Chantal Akerman, qui accompagnait, à la manière d’une anthropologue du vide, la lente et certaine dégringolade d’une femme d’intérieur. Le passé ressurgit en permanence, avec les apparitions fantomatiques des enfants ou des jeunes adultes que les protagonistes ont été les uns les autres. Le récit se déroule ainsi dans une forme de pesanteur de la banalité qui, pourtant, fonde la réalité de nos existences.
Plus que jamais, André Gil Mata refuse l’accablement du mélodrame. Le brillant réalisateur portugais s’efforce de mettre en scène ses personnages dans un écrin d’images, qui rappellent à la fois les grandes peintures d’intérieur des XVIIIe et XIX siècles, et les romans de Proust où la vérité des héros s’écrit dans la lenteur du temps qui passe. Les dialogues sont rares, mais suffisants pour appréhender la puissance narrative du film. Parfois, le cinéaste se plaît à perdre ses spectateurs qui ne savent plus de qui il s’agit, ou à quelle période la scène de situe, d’autant que la fiction n’apporte aucun indice sur les évènements sociétaux et politiques de l’extérieur. Ce brouillage des lignes constitue la matière même de ce récit qui serpente à travers les murs pétris d’histoire de la maison.
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À la lueur de la chandelle est un grand film qui devrait contribuer à l’histoire du cinéma. L’arbre était déjà très abouti mais cette fois le propos prend une épaisseur supplémentaire. André Gil Mata a étudié la photographie, ce qui le dote de cette aptitude stupéfiante à cerner les émotions des personnages à travers chacun de ses plans. Le long-métrage devient alors une sorte d’allégorie de la notion même de cinéma, tant les mouvements circulaires de la caméra, la manière de figer le réel dans des tableaux, l’économie des gestes des acteurs racontent bien plus qu’un film qui s’épuiserait dans l’agitation.
À la lueur de la chandelle n’est jamais trop long, ni ennuyeux. C’est un film qu’il faut appréhender comme on le ferait d’un roman de Marcel Proust, c’est-à-dire une sorte d’illustration merveilleuse de ce qui contribue à l’esthétique du cinéma. André Gil Mata rend hommage à un langage cinématographique qui se soucie moins de la succession des évènements que de la manière dont les séquences rendent compte de la mécanique du temps. Voilà un chef d’œuvre qui parle de la mort, de la solitude, de l’ennui, de la perte de sens, mais aussi de la vie, de l’art, et de l’essentiel de nos existences, à savoir l’amour.
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