Le 10 juin 2025
Dans un film riche et très (trop ?) dense, Qiu Jiongjiong revisite le XXe siècle chinois. L’une de ces œuvres originales, osées, qui résistent au formatage à la marvélisation ambiante.


- Réalisateur : Qiu Jiongjiong
- Acteurs : Yi Sicheng, Guan Nan, Qiu Zhimin
- Genre : Comédie dramatique, Historique
- Nationalité : Français, Chinois, Hongkongais
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 3h00mn
- Titre original : Jiao má táng huì
- Date de sortie : 11 juin 2025
- Festival : Festival de Locarno 2021

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– Année de production : 2021
Résumé : Grand acteur-clown de l’opéra du Sichuan, Qiu Fu n’est plus. L’artiste quitte à contrecœur la vie terrestre pour le monde souterrain, où il est accueilli par Tête de Bœuf et Visage de Cheval, les deux gardiens du lieu. Alors qu’il revit une dernière fois ses souvenirs avant d’entrer dans l’Au-delà, cinquante années d’art, de lutte et d’amour défilent sur fond d’histoire tumultueuse de la Chine du XXe siècle…
Critique : Présenté en 2021 au Festival de Locarno, la fresque de Qiu Jiongjiong aura mis du temps à nous parvenir. Un peu de Fellini, une pensée pour Greenaway, quelques inclinations pour le cinéma des origines, un parallèle évident avec Adieu ma concubine : si l’on s’empresse de cumuler ainsi les références, les comparaisons, pour comprendre A New Old Play c’est – il faut bien le reconnaitre – parce que le (très) long métrage de Qiu Jiongjiong nous échappe un peu. D’une durée de trois heures, entièrement tourné dans des décors de studio (et qui s’affichent comme tels), abordant à travers son protagoniste d’acteur-clown près d’un siècle d’histoire chinoise (et censuré dans son pays pour cette raison), s’appuyant sur des spécificités culturelles largement inconnues au public occidental, A New Old play désarme votre serviteur. Par quel bout saisir cet objet qui déborde, presque littéralement ? Quelle idée formuler à son propos ?
- A New Old Play - Carlotta Films
Il n’est guère étonnant que l’élément le plus saillant du long métrage de Qiu Jiongjiong, cinéaste peintre fort connu dans son pays, soit son aspect esthétique. Cadres à la frontalité affichée, presque tous en plan larges très composés, baignant dans une fumée quasi constante, les visuels du film en sont son originalité la plus immédiatement notable. Dans une fusion du fond et de la forme, l’aspect carton-pâte haut en couleurs est sans doute moins une volonté de faire du sino-Wes Anderson que celle de rendre hommage au métier pratiqué par les héros de l’histoire : comédiens de l’opéra Sichuan. Tiré de la vie du grand-père du réalisateur, clown et acteur de la discipline, A New Old Play est avant tout à voir comme un hommage rendu à cet art populaire forain que le public français connaît mal.
Le premier intérêt du film – pour un public occidental en tout cas – est sans doute de donner admirablement à voir et ressentir cette forme de théâtre de rue traditionnel au ton tragi-comique… ou le premier obstacle à sa bonne réception. À ceux qui n’ont que faire de la jouissance exotique d’une telle démarche, le film s’affichera comme un objet opaque. D’autant plus que le cinéaste empreinte les codes de cette discipline chino-chinoise pour nous raconter l’Histoire de son propre pays, au XXe siècle. Si les grandes dates apprises en cours permettent de suivre l’essentiel, nombre d’anecdotes, de métaphores visuelles et de références à la spiritualité nationale resteront absconses pour le public français.
Pourtant, le film recèle son lot de scènes cocasses, déchirantes voire les deux à la fois. À la mi-temps du film, le couple de protagosnistes, pour nourrir un bébé abandonné par sa mère, cherche dans les déjections des latrines publiques des vers propices à apporter au nourrisson carencé sa portion protéinique. Le plan ne se déroule pas comme prévu : des membres du Parti communiste font irruption, accusant le couple de dissidence au PCC, les excréments étant une propriété collective dont ils cherchent visiblement à s’octroyer l’exclusivité. Excellente scène réussissant le tour de force de faire rire en illustrant d’une manière édifiante, et sans rien en dissimuler, la terrible famine connue par le pays à la suite du Grand Bond en avant. Pourtant, loin d’être la norme, ces séquences sont noyées au milieu d’autres, au premier abord bien moins concrètes, qui, bien que belles et/ou drôles, nous donnent l’impression d’avoir trois trains de retard sur le film. Retour à la case départ : le geste critique est désarmé, l’appréciation esthétique avec. La faute, sans doute, à un manque de contexte, de références, voire de volonté de la part de Qiu Jiongjiong de céder à une grammaire esthétique et narrative plus lisible pour le spectateur lambda. Devant ces séquences, comme devant la globalité du film, on se demande quoi en penser.
- A New Old Play - Carlotta Films
Puisqu’il est difficile de trouver quoi dire d’une telle profusion, terminons – faute de mieux – en saluant l’existence même d’un tel film dans nos salles. Faute de mieux ? Loin de là : la critique fait rarement l’éloge de ceux qui travaillent et prennent parfois de gros risques financiers pour que le public français puisse avoir accès aux œuvres. Remercions Carlotta Films de distribuer en France ce long métrage qui mérite de trouver son public. À travers eux, corrigeons, même faiblement, l’injuste silence qui entoure trop souvent le travail des distributeurs. Profitons-en aussi pour apporter notre soutien à ceux qui – main dans la main avec ces derniers – sortent dans leurs salles des films originaux, osés, pas toujours formatés à la marvélisation ambiante. A New Old Play en est assurément un des dignes représentants.
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