On Killing Considered as one of the Fine Arts
Le 26 décembre 2025
Après À toute épreuve (1992), que l’on a pu voir dans les salles au mois d’août 2025, Metropolitan Films ressort The Killer sur grand écran : quoi de mieux pour oublier l’insipide "remake" de 2024 que de redécouvrir, restauré en 4K, le long-métrage original, qui, en plus de propulser John Woo sur la scène internationale, a quasiment acquis, dès sa sortie et malgré un relatif échec au box-office hongkongais, le statut de film culte.
- Réalisateur : John Woo
- Acteurs : Chow Yun-fat, Danny Lee, Sally Yeh
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Action, Triade, Film culte
- Nationalité : Hongkongais
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Durée : 1h47mn
- Reprise: 26 novembre 2025
- Titre original : 喋血雙雄 [litt. Deux héros maculés de sang]
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
- Date de sortie : 3 mai 1995
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– Année de production : 1989
Résumé : Jeff est un tueur professionnel. Lors de l’exécution d’un contrat, il blesse accidentellement aux yeux une jeune chanteuse, Jenny. Rongé par le remords, il accepte d’éliminer un parrain des Triades afin de réunir la somme nécessaire à la transplantation de cornée dont Jenny a besoin. L’affaire tourne mal et Jeff se retrouve à la fois poursuivi par ses employeurs et par un policier acharné, l’inspecteur Li.
Critique : Si l’on se cantonne à son argument, The Killer paraît n’être qu’une variation supplémentaire sur une trame éprouvée : un tueur à gages souhaitant se ranger se retrouve traqué par ses commanditaires, tandis qu’un inspecteur de police, lui aussi à sa recherche, se met, au fur et à mesure que sa traque le conduit à le connaître, à éprouver pour lui respect, et même amitié.
On a, plus spécifiquement, rapproché le personnage qu’incarne Chow Yun-fat dans le long-métrage de celui de Jeff Costello, le gangster existentialiste interprété par Alain Delon dans Le Samouraï de Jean-Pierre Melville : la version française leur fait d’ailleurs porter le même prénom. Mais si John Woo se réclame de Melville, l’hommage qu’il lui rend n’est qu’un moyen pour lui d’affirmer sa singularité : preuve en est que sa séquence d’ouverture renverse les motifs de de la scène finale du film du réalisateur français.

- Copyright : Metropolitan Films
Car, sorti à Hong Kong en 1989, après les deux premiers épisodes du Syndicat du crime (1986 et 1987), The Killer impose surtout le réalisateur comme un virtuose du cadre et du découpage, capable de filmer des duels homériques sous un déluge de feu et d’acier : alternant séquences hachées en plans d’une demi-seconde et envolées lyriques filmées en travelling, John Woo redéfinit la grammaire des gunfights au point qu’on lui attribue la paternité d’un genre nouveau, l’heroic bloodshed, directement tiré du titre chinois de The Killer.
On a certes souvent reproché à ces ralentis et à ses freeze frames d’esthétiser la violence, tant et si bien que The Killer a été classé R aux États-Unis, mais il en a surtout fait un moteur narratif et un principe graphique : aussi propose-t-il une version maniériste du motif du mexican standoff, dans laquelle deux gunmen se tiennent en joue, pointant l’un vers l’autre les canons de leur armes ; un duel immobile et silencieux qui, avant d’être fétichisé en une « tarantinade », constituait la quintessence du style wooien.

- Copyright : Metropolitan Films
Mais le réalisateur de The Killer n’en est pas moins un cinéaste profondément romantique, qui réinterprète l’actioner en le mâtinant tant de film noir que de mélodrame : à la mort de Sergio Leone, d’Akira Kurosawa et Chang Cheh, son mentor à la Shaw Brothers, il resta de fait l’un des derniers représentants d’un cinéma populaire empreint de lyrisme, dont les mouvements de caméra et le dimension opératique soulignent la noblesse d’âme de ses personnages.
Ainsi, dans la tradition du film de gangsters asiatiques, le tueur du titre est en réalité un bandit d’honneur qui n’exécute que des criminels et n’accepte d’ultime contrat que pour financer l’opération qui doit rendre la vue à Jenny, la chanteuse de night-club qu’il a accidentellement blessée aux yeux lors d’une précédente exécution. On a ainsi pu voir The Killer comme un croisement d’An Outlaw (1964) de Teruo Ishii et de The Window (1968) de Patrick Lung Kong, dont Le Syndicat de crime était déjà le remake de l’un des long-métrages.

- Copyright : Metropolitan Films
De fait, les héros de John Woo sont des héritiers directs des sentimental swordmen des romans de Gu Long, l’auteur wu xia, avec Jin Yong, le plus adapté à l’écran. Chow Yun-fat incarne l’un de ces chevaliers errants dont la loyauté n’a d’égal que le sens du sacrifice : ainsi le remords conduit-il Jeff à entretenir avec Jenny une relation toute platonique dans laquelle il s’efforce de préserver la jeune femme de la violence qui les traque en réinterprétant pour elle les situations que sa cécité l’empêche de voir.
Il noue de même avec l’inspecteur Lee une relation fondée sur un code d’honneur commun, que scellent les sobriquets dont ils s’affublent comme des amis d’enfance : tant et si bien que le flic et le tueur deviennent des figures gémellaires se retrouvant, lors de l’aristie finale, dos à dos, face à une nuée d’ennemis qui surgissent de toutes parts. Car, dans cette tragédie de la virilité, le plus beau gage d’amitié est de permettre à son camarade de combat de connaître une belle mort.

- Copyright : Metropolitan Films
Mais, comme son producteur Tsui Hark, John Woo est également un cinéaste protestant dont la première vocation était pastorale : s’il inscrit The Killer dans la tradition chevaleresque chinoise, c’est pour l’imprégner d’une esthétique, et surtout d’une symbolique proprement chrétienne en un métissage caractéristique de la culture hongkongaise. Dans cette perspective, il fait du personnage de Jeff, homme du passé en proie à la déréliction, un martyr des valeurs traditionnelles.
Ainsi, dans un finale dantesque, le trio se retrouve encerclé dans une église en travaux qui ne tarde pas à être prise d’assaut par des hordes de membres de triades. Et c’est au moment où les gangsters font exploser la statue de la Vierge Marie, tandis que retentit un requiem joué par de grandes orgues, que le spectateur comprend que Jeff ne pourra trouver la rédemption qu’en se sacrifiant parmi les cierges et au milieu d’une volée de colombes, pour devenir lui-même, aveugle à son tour, une figure christique.
THE KILLER ressort sur nos écrans dans un montage que l’on a parfois présenté comme une version courte : mais, la préférence de John Woo va à ce premier "cinematic cut", plutôt qu’à la version de deux heures montée précipitamment pour la sortie taïwanaise du film et qui inclut des scènes jugées superflues par le réalisateur.
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