Cigarettes et bas nylons - Fabrice Cazeneuve - critique

Critique : Trois jeunes femmes discutent durant le trajet en car qui les mène à un "camp cigarettes", ces lieux de transit installés à la toute fin de la guerre pour recevoir les soldats américains arrivés sur le sol français ou en partance. Chacune d’elles raconte son existence avec son nouveau mari : ce sont tous des jeunes combattants yankees et leurs épouses sont destinées à les rejoindre au pays natal. On leur apprend donc à devenir de futures citoyennes américaines.
Le séjour au camp de Chesterfield est l’occasion d’apprendre des éléments de la culture états-unienne, comme l’hymne national qui donne lieu à une interprétation plutôt perturbée par la bonne humeur narquoise du groupe, même si le plaisir de l’assistance est rapidement douché. En effet, les admonestations de l’instructrice s’en prennent à ces Françaises, réputées légères, qui, n’étant pas les bienvenues, devront montrer qu’elles sont des femmes "honnêtes, sérieuses et propres". On leur apprend donc à être ces épouses modèles qui se confondent avec leur future vie domestique, selon les stéréotypes les plus avérés de la domination patriarcale (la pratique du tricot profile leur destin). Le statut des femmes, c’est aussi ce que ce film raconte, à travers l’exemple plutôt saisissant de Jeannette, devenue veuve, à qui une somme d’argent est négligemment donnée en guise de compensation. La mort de son époux l’oblige à rester en France.
Dès lors, l’existence de ses deux amies, parties à des milliers de kilomètres, n’est alimentée que par des cartes et des lettres, comme un hors-champ, tandis que Jeannette traîne sa réputation de "fille à soldats" et s’ennuie. N’y tenant plus, elle rejoindra à son tour le pays de l’Oncle Sam.
Ce téléfilm, diffusé une première fois sur France 3 en 2011, a une valeur documentaire, puisqu’il évoque un moment plutôt méconnu du conflit mondial, par le truchement de plusieurs amitiés. Les héroïnes fantasment l’image de leurs nouveaux héros, symboles d’une Amérique triomphante, comme l’antithèse de leur pays ravagé. Mais bientôt, la réalité les rattrape, le rêve se lézarde...
La crédibilité des comédiennes dans leur rôle respectif donne une consistance aux personnages qu’elles incarnent, mais la mise en scène, très sage, atténue l’intérêt que l’on porte à cette création.