Putain de guerre !
Le 24 mai 2017
Plongée sans concession dans l’univers des prostituées de guerre, ce long-métrage de Seijun Suzuki échappe à l’exploitation pure et simple pour se hisser au niveau d’un film d’auteur audacieux, faisant preuve d’une réelle maestria visuelle. A découvrir.


- Réalisateur : Seijun Suzuki
- Acteurs : Yumiko Nogawa, Tamio Kawaji, Hiroshi Cho, Hideaki Esumi, Shigeyoshi Fujioka
- Titre original : Shunpun den
- Genre : Drame, Film de guerre, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Elephant Films
- Durée : 1h36mn
- Reprise: 28 mars 2018
L'argument : Alors que le conflit sino-japonais fait rage, une jeune prostituée tombe amoureuse d’un soldat. Parallèlement, elle est victime d’un officier sadique qui la harcèle.
Notre avis : Pilier de la Nikkatsu, le réalisateur Seijun Suzuki s’est surtout spécialisé dans le film de yakusa, genre auquel il est encore systématiquement associé dans la mémoire des cinéphiles. Au début des années 60, il a déjà signé quelques-uns de ses meilleurs films comme l’hallucinant La jeunesse de la bête et il dérive vers le film érotique teinté de sadomasochisme à partir du succès de son Barrière de la chair en 1964. Ainsi, Histoire d’une prostituée peut être vu comme un film de rupture par rapport à ses œuvres précédentes car ici le sexe et la violence ne sont plus de simples prétextes, mais servent parfaitement un discours pacifiste totalement assumé par un réalisateur provocateur.
Abandonnant ici la couleur – pourtant au cœur du dispositif formel de ses précédents opus – au profit d’un noir et blanc vaporeux, Seijun Suzuki se penche ici sur un sujet historique qui fait encore polémique en cette première moitié des années 60. Effectivement, le réalisateur plonge au cœur de la conquête de la Chine par le Japon durant la guerre dévastatrice des années 30-40. Au lieu de se concentrer sur des faits héroïques, Suzuki opte pour le petit bout de la lorgnette en suivant la destinée des « femmes de réconfort », ces prostituées qui suivaient l’armée japonaise dans tous ses déplacements. Il était tout bonnement impensable de tourner un long-métrage sur ce sujet ô combien polémique dans les années 60. Certes, Suzuki prend des pincettes en faisant de ses héroïnes des Japonaises (alors que la plupart étaient des Chinoises prisonnières servant d’esclaves sexuelles), et en ne montrant jamais les soldats japonais en train de massacrer des Chinois, mais il a toutefois le mérite d’égratigner le mythe de l’armée impériale valeureuse, tout en dénonçant le fanatisme des militaires.
Se positionnant clairement contre toute forme de patriotisme et faisant preuve d’un puissant antimilitarisme, Seijun Suzuki signe ici une œuvre engagée qui prône avant tout l’amour et la dévotion des amants l’un pour l’autre. Très sombre, le résultat final est un film dérangeant qui provoque un certain malaise. Tout d’abord, aucun personnage n’est vraiment sympathique et l’empathie est donc difficile, même si l’on admire le courage du personnage féminin incarné avec conviction – et hystérie – par Yumiko Nogawa. Ensuite, le cinéaste ne cesse de souffler le chaud et le froid en tournant quelques belles séquences érotiques soudainement lardées de violence, aussi bien physique que morale. Enfin, le réalisateur a certes choisi une certaine forme de sobriété, mais il n’oublie quand même pas d’avoir recours à des effets stylistiques caractéristiques comme des arrêts sur image, des décalages entre le son et l’image, ou encore l’isolement des personnages au milieu de décors dépouillés. Autant d’éléments qui rattachent cet opus à la nouvelle vague nippone datant du début des années 60.
Autre élément typique du cinéma japonais de cette période, le final nous gratifie d’un « double suicide » qui est un acte radical alors très à la mode au sein du cinéma local. La tendance au mélodrame et à l’exagération du jeu des acteurs est là aussi totalement symptomatique. En tout cas, tel quel, Histoire d’une prostituée permet à Seijun Suzuki de fondre le fond et la forme dans un tout plutôt harmonieux, l’un ne prenant jamais le pas sur l’autre. Assurément un grand film.
Le test blu-ray :
Une édition de qualité d’un film très rare.
Les suppléments :
Le boîtier contient un livret collector de 20 pages qui ne nous a pas été fourni, ainsi qu’une jaquette réversible avec l’affiche japonaise. Sur la galette au rayon bleu, le seul véritable supplément lié au film est une présentation par Stephen Sarrazin durant 10mn où celui-ci revient sur l’audace du sujet choisi par Suzuki et sur l’interprétation magistrale de Yumiko Nogawa. Les deux autres suppléments sont communs à tous les films de la collection. Il s’agit d’un entretien datant de 2001 avec Seijun Suzuki qui évoque pendant une dizaine de minutes son travail. Enfin, le second module est un entretien avec Roland Lethem qui revient pendant un quart d’heure sur la sortie de La barrière de la chair, ce qui n’est pas très pertinent sur cette galette. On termine par des bandes annonces et une galerie photo bien fournie.
L’image :
Si la copie n’est en rien irréprochable – avec un peu trop de grain, quelques rayures et petites brûlures éparses – elle n’en demeure pas moins de bonne tenue. On est bien face à du blu-ray, notamment dans la luminosité des scènes de jour. On peut peut-être regretter un léger manque de piqué et une impression légèrement brumeuse sur les séquences de chevauchées dans les plaines chinoises.
Le son :
Une seule piste mono est disponible en japonais sous-titré. L’absence de VF ne choquera aucunement le public cinéphile visé par cette édition, d’autant que la piste est plutôt claire, même si elle manque parfois de dynamisme, notamment lors des scènes de bataille. L’ensemble demeure correct.
Reprise en version restaurée : 28 mars 2018
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