Le 25 novembre 2023
- Genre : LGBTQIA+
- Festival : Festival Chéries-chéris 2023
Quelle histoire, quelle évolutions pour la représentation des LGBT au cinéma ? De quelles évolutions sociétales se sont-elles fait le reflet ? Voilà - parmi d’autres - des thématiques soulevées lors des séances du 7e Genre, le ciné-club qui défie les normes.
À l’occasion du festival Chéries-Chéris, dont Le 7e Genre est partenaire, échange avec Anne Delabre, programmatrice de ce ciné-club et co-autrice d’un ouvrage très complet sur les représentations LGBT, Le cinéma français et l’homosexualité, écrit avec Didier Roth-Bettoni et paru aux Éditions Danger Public.
Où commence l’histoire des représentations LGBT au cinéma ?
Anne Delabre : Les représentations LGBT – même si on ne les appelait pas ainsi à l’époque – sont presque aussi anciennes que le cinéma lui-même. Si l’on pense à Charlot et ses travestissements, on joue déjà sur la transgression des normes… Il y avait également les « sissies », ces personnages très efféminés dans le cinéma muet américain, ou les garçonnes des années 1930.
Bien sûr, les représentations varient beaucoup d’un pays à l’autre : aux États-Unis, le code Hays, qui a sévi dès 1930, rendait impossible beaucoup de représentations, dont celle de l’homosexualité. Ensuite, cela a évolué : on pouvait la montrer, mais uniquement d’une façon négative, avec cette homosexualité toujours considérée comme une déviance ou une maladie, des personnages psychopathes ou meurtriers. Dès 1968, avec les mouvements de libération et des événements comme les émeutes de Stonewall, les mentalités évoluent et les représentations LGBT sont de plus en plus variées.
En France en revanche, il n’y a jamais eu de censure officielle, laissant longtemps le champ libre à une représentation bien plus fréquente et plus positive, avec des hommes et des femmes homosexuels, assumés comme tels, intégrés à l’histoire. Dans Hôtel du Nord de Marcel Carné (1938), par exemple, François Périer joue clairement le rôle d’un homosexuel, tout le monde dans sa pension de famille lui en parle très naturellement. Il y a beaucoup d’autres exemples de personnages assez ambigus, notamment dans les films de gangsters. Plus tard, dans les années 80, sortiront toutefois des films bien moins gay friendly – comme Le corps de mon ennemi ou Le marginal, avec Belmondo, dans lequel il entre dans une boîte queer et craint de se faire frôler par un homo.
Le film La cage aux folles (1978) d’Édouard Molinaro, d’après la pièce de Jean Poiret, fut également un film controversé.
Anne Delabre : Pour moi, la différence de La cage aux folles – qui avait certes créé la controverse dans les milieux militants –, c’est qu’il s’agit ouvertement d’une comédie. D’emblée, on est dans les clichés, la caricature, mais c’est le principe : on rit avec eux, on ne rit pas contre eux. Ce n’est pas stigmatisant. Il s’agit d’un couple qui s’aime, homoparental avant l’heure… On est très loin des films avec Belmondo que je citais, où les homosexuels sont dévalorisés et stigmatisés.
Aux États-Unis, du fait du code Hays, les thématiques LGBT ont donc été abordées de manière uniquement cryptique ?
Anne Delabre : Tout à fait ; à ce sujet, le documentaire The Celluloid Closet analyse brillamment les représentations LGBT dans le cinéma hollywoodien. C’est très amusant de décrypter aujourd’hui les nombreux sous-textes contenus dans ces films. Dans les films de gangsters ou les westerns notamment, on voit souvent des camaraderies viriles très marquées !
D’autres films avaient des sous-entendus lesbiens : le personnage de la lesbienne vampire, souvent sulfureux, est un archétype. Il peut également s’agir de films camp, comme les adaptations de Tennessee Williams, ou encore Qu’est-il arrivé à Baby Jane de Robert Aldrich ou La rumeur de William Wyler. Dans ce dernier, celle qui se révèle lesbienne se suicide ; pour le public qui se sent concerné, cela peut être vécu de façon assez traumatique. Si l’on compare avec un autre film situé dans une pension de jeunes filles, Olivia (1951) de Jacqueline Audry, cela n’a d’ailleurs rien à voir. Dans Olivia, deux femmes sont en couple, c’est de notoriété publique et ne pose pas problème. Les deux films illustrent bien la différence entre la France et les États-Unis.
Pourtant, en France aussi, les cinéastes ouvertement homosexuels tels que Patrice Chéreau ou André Téchiné viendront plus tard ?
Anne Delabre : Effectivement, et même un cinéaste comme André Téchiné cachera son homosexualité jusqu’assez tardivement, jusqu’aux Roseaux sauvages (1994). Avant cela, on pouvait toutefois décoder ses films à cette lumière-là, comme Marcel Carné avant lui. Si l’on prend François Ozon ou d’autres cinéastes gays, ils n’arriveront que plus tard, à la fin des années 1990 ou dans les années 2000. Pour les femmes aussi, ce sera assez tardif : Céline Sciamma réalisera Naissance des pieuvres en 2007 et Catherine Corsini s’est révélée avec La belle saison en 2015.
Les œuvres que vous citez sont des films grand public, avec des interprètes connus. Ont-ils contribué à faire évoluer les mentalités ?
Anne Delabre : Cela a contribué, oui. La banalisation n’a réellement eu lieu qu’à partir des années 2000 : ainsi, dans L’auberge espagnole de Cédric Klapisch, Cécile de France apprend à Romain Duris comment draguer les filles. La première étape de cette banalisation était de visibiliser ; dans les années 1990, il y a eu beaucoup de films sur le sujet du coming out. Désormais, on retrouve des personnages homosexuels mais ce n’est pas forcément le sujet du film. L’un des premiers films de ce type, peu connu, est Oublier Cheyenne (2005) de Valérie Minetto. C’est l’histoire d’un couple de femmes, mais cela parle avant tout de précarité, de marginalité. Un film très politique.
Aujourd’hui, on se concentre davantage sur les questions « T », liées aux personnes transgenres. C’est une thématique très présente au cinéma et à la télévision. Nous n’en sommes pas encore à la banalisation : de la même façon qu’il a fallu passer par des œuvres sur le coming out, il s’agit avant tout de films sur la transition, l’avant, le pendant. Peut-être pourra-t-on imaginer ensuite une plus grande maturité sur ces sujets. Pour moi, cette maturité est atteinte quand les personnages LGBT ont droit à autant de complexité que les hétéros et sont « tout simplement » des personnages.
Quid de la représentation des personnes intersexes et asexuées ?
Anne Delabre : Les personnes intersexes étant moins nombreuses, la thématique a tendance à être moins traitée. Sur ce sujet, je citerais le très beau film argentin XXY (2007) ou le pionnier Mystère Alexina (1984) de René Féret. Sur la question de l’asexualité, il y a par ailleurs Slow (2023), qui était projeté au dernier festival de La Rochelle, mais n’a pas encore trouvé de distributeur français.
Pouvez-vous nous présenter l’activité du ciné-club Le 7e Genre ?
Anne Delabre : Il s’agit d’un ciné-club de films de patrimoine ; nous ne cherchons donc pas à coller à l’actualité ou à faire concurrence à des festivals et avant-premières. Pour autant, « de patrimoine » inclut tous les films anciens d’au moins dix ans, cela n’a donc rien de poussiéreux ! Nous sommes focalisés sur des longs-métrages de fiction, rares voire inédits. Il s’agit d’un goût personnel : j’aime découvrir des raretés, des archives, et nous souhaitons également proposer une soirée qui soit exceptionnelle. Les films ont comme point commun d’aborder des thématiques LGBT ou de questionner les genres et les sexualités minoritaires. Les choix de programmation sont liés à notre culture cinématographique personnelle et nos coups de cœur. Vient ensuite la partie la plus ardue et la plus chronophage : la recherche des ayants droits, des copies, des sous-titrages – que l’on doit parfois faire faire nous-mêmes –, des invités adéquats…
Nous essayons de diversifier autant que possible les cinématographies, les époques, les styles, même s’il est plus facile de retrouver les ayants droit et les copies en Europe et en Amérique du Nord qu’en Afrique ou en Asie… On ne peut pas diffuser certains films qu’on aimerait.
Vous fêtez vos dix ans cette année. Quelle sera votre actualité ?
Anne Delabre : Après une décennie de travail acharné, nous avons décidé de ralentir la cadence. Bien que nous soyons fidèles au cinéma Le Brady depuis nos débuts, nous nous sommes toujours déplacés : dans d’autres cinémas parisiens, dans des festivals ou en région, comme à Lyon ou Bordeaux. Nous organisons également des séances dans des bibliothèques, des maisons d’arrêt ou des établissements scolaires. Nous essayons de diversifier les publics auxquels nous nous adressons, puisque la lutte contre les discriminations passe aussi par l’éducation à l’image, par la transmission et le partage.
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