Le 23 septembre 2025
Les états d’âme d’une femme huissier de justice après le suicide d’un clochard en procédure d’expulsion sont une opportunité formidable de cynisme et de cinéma. Un grand Radu Jude.
- Réalisateur : Radu Jude
- Acteurs : Serban Pavlu, Gabriel Spahiu, Eszter Balint, Adonis Tanța, Oana Mardare, Ilinca Manolache, Marius Damian
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Britannique, Brésilien, Suisse, Luxembourgeois, Roumain
- Distributeur : Météore Films
- Durée : 1h49mn
- Date de sortie : 24 septembre 2025
- Festival : Festival de Berlin 2025
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Orsolya est huissière de justice à Cluj, en Transylvanie. Elle doit un jour expulser un sans-abri qui vit dans le sous-sol d’un immeuble du centre-ville transformé en hôtel de luxe. Un événement inattendu la met brusquement face à ses contradictions.
Critique : Radu Jude est un cinéaste du désenchantement heureux. À chaque film, il plonge ses spectateurs dans une critique sociale frontale de la Roumanie, sous couvert d’un rire jaune. Kontinental ’25 n’échappe pas à la règle avec le portrait de cette femme huissière de justice qui assiste à quelques minutes près au suicide d’un clochard qu’elle s’apprêtait à expulser de son squat. Alors, au lieu de prendre du recul, elle s’enferme dans une désespérance coupable où tout soudain lui apparaît vertigineux. Et il y a de quoi ! Le lieu où elle a poussé à la rue le SDF est promu à devenir un hôtel de luxe, dans une Roumanie qui bascule dans une crise économique terrible, puissamment contradictoire.
Radu Jude a le sens et des détails et de la mise en scène. Chaque séquence est un trésor de cruauté et de drôlerie qui fait penser au non moins cinéaste caustique Kaurismäki. Le début formidable montre l’errance de ce clochard qui ne cesse de jurer en traversant un parc d’animation peuplé de bêtes préhistoriques ou en suppliant d’une table à l’autre qu’on lui donne un travail et un peu d’argent. Dans cette escapade tragique, on n’aura pas manqué l’affiche monumentale d’un homme politique en campagne, censé apporter un peu d’espoir. Tout est construit dans une suite souvent hilarante de contradictions qui ne font qu’enfoncer la protagoniste dans sa mélancolie.

- Copyright Météore Films
Radu Jude cultive un véritable sens du dialogue. Il insère son film d’une série d’échanges entre les différents personnages absolument savoureux et réjouissants. "Salauds de pauvres", diraient certains. En tout cas, le cinéaste roumain regarde non sans ironie la manière dont son pays, qui s’est véritablement sorti de la pauvreté endémique de l’ère communiste, traite ses exclus et ses minorités. L’héroïne incarne à elle seule la figure contrastée d’une citoyenne qui compose avec ses préoccupations quotidiennes, son impuissance à faire charger les choses et un environnement social qui se dégrade. Mais Kontinental ’25 n’est surtout pas un film tragique. il s’agit plutôt d’un conte cruel et sarcastique où tout sujet à critiquer avec joie le fonctionnement de la Roumanie.
Les images de la ville sont très présentes dans ce récit original. Radu Jude s’amuse à mélanger les atmosphères, avec par exemple cette scène où Orsolya se retrouve à son tour dans le parc que le clochard avait traversé, avec son lot de dinosaures articulés au milieu desquels elle se met à invoquer Dieu. Radu Jude filme Cluj, la (presque) capitale de la Transylvanie qui se caractérise notamment par une très forte multiplicité culturelle, témoignant de la difficulté des populations locales de s’identifier à leur nation. La jeune femme n’échappe pas à cette perte de repère qui est très lisible dans le contraste laissé par des bâtiments très beaux, très imposants, une sorte de désolation ambiante générale, et la subsistance de palais ou d’avenues marquées encore par le règne de Ceaușescu.

- Copyright Météore Films
Kontinental ’25 s’affiche comme une œuvre résolument originale. Certes, on pourrait y voir aussi beaucoup de bavardages, mais en réalité Radu Jude s’amuse à multiplier les scènes et les dialogues où les personnages témoignent de l’absurdité du monde contemporain. Rien ne permet d’enlever à l’héroïne sa tristesse existentielle, pas même cet étudiant extravagant qui déclame des contes philosophiques devant un verre de vin.
Une petite mention particulière s’impose pour l’actrice principale, Eszter Tompa. Elle incarne l’huissière de justice avec une grande tendresse pour son personnage. Elle n’use d’aucune simagrée, ni d’artifice, se contentant d’incarner un bout de femme dévorée par les contradictions et la culpabilité. Mais Radu Jude nous enseigne qu’aussi tragique soit parfois la vie, le bonheur réside dans ces rencontres inattendues qui, soudain, apportent au monde un morceau de lumière.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
























