Les cailloux dans la rivière
Le 31 mars 2014
Dans cette première adaptation de la nouvelle de Kawabata, Gosho se révèle un des cinéastes les plus aptes à capter la sensation d’éphémère liée à la joie éperdue de l’instant et à faire naître les émotions sans les écraser sous la rhétorique ou le sentimentalisme.
- Réalisateur : Heinosuke Gosho
- Acteurs : Kinuyo Tanaka, Den Obinata, Chōko Iida, Takeshi Sakamoto, Ryôtarô Mizushima, Reikichi Kawamura, Kinuko Wakamizu, Shozaburo Abe, Tokuji Kobayashi, Jun Arai, Haruo Takeda, Shizue Hyodo, Shizue Akiyama, Kiyoshi Aono
- Genre : Comédie dramatique, Film muet
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h33mn
- Titre original : 恋の花咲く 伊豆の踊子 - Koi no hana saku Izu no odoriko
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– Sortie Japon : 2 février 1933
Dans cette première adaptation de la nouvelle de Kawabata, Gosho se révèle un des cinéastes les plus aptes à capter la sensation d’éphémère liée à la joie éperdue de l’instant et à faire naître les émotions sans les écraser sous la rhétorique ou le sentimentalisme.
L’argument : Mizuhara, un étudiant en randonnée estivale croise la route d’un groupe d’artistes itinérants qui se produisent dans les auberges de la presqu’île d’Izu. Il se lie d’amitié avec Eikichi et sa soeur Kaoru, une jeune danseuse.
Notre avis : Publiée en 1926, la nouvelle Izu no odoriko de Yasunari Kawabata est devenue un classique de la littérature japonaise du vingtième siècle et a fait l’objet d’une dizaine d’adaptations au cinéma ou à la télévision. Cette première version, écrite par Akira Fushimi et réalisée par Heinosuke Gosho pour la Shochiku durant l’été 1932, est restée la plus célèbre.
- Koi no hana saku Izu no odoriko (Gosho 1933) - Shochiku
Le scénario développe davantage que la nouvelle l’ébauche d’histoire d’amour entre l’étudiant et la jeune danseuse mais prend le temps d’installer une ambiance euphorique de villégiature estivale et de s’intéresser à plusieurs intrigues et personnages secondaires en privilégiant d’un bout à l’autre un ton de comédie, parfois franchement burlesque, mais en y mêlant quelques touches de film noir et de mélodrame.
Tourné presque entièrement en extérieur, le film déploie un art du cinéma muet arrivé à son degré ultime de virtuosité et de raffinement mais qui à aucun moment ne débouche sur le pur exercice de style. La caméra, rarement au repos, accompagne la course d’une bicyclette, s’échappe souvent en panoramiques qui semblent respirer avec le paysage ou s’élève soudain vers le ciel. Elle saisit un coup d’oeil furtif ou le mouvement de pieds grattant le sol en brefs gros plans qu’articule un montage d’une extrême précision. Il en résulte une sensation de foisonnement d’impressions, de bonheur intense de filmer la richesse et la variété du monde.
- Den Obinata et Kinuyo Tannaka dans Koi no hana saku Izu no odoriko (Gosho 1933) - Shochiku
Densité et légèreté vont ici constamment de pair et font de Gosho un des cinéastes les plus aptes à capter la sensation d’éphémère liée à la joie éperdue de l’instant et à faire naître les émotions sans les écraser sous le sentimentalisme. Même les citations poétiques dans les intertitres (déclamés à l’époque par les Benshis) s’intègrent tout naturellement dans ce flux vif (Tous mes rêves sont brisés ; je suis comme un oiseau migrateur en pleurs).
Aucune pesanteur mélodramatique ne vient par exemple figer dans la rhétorique de l’inéluctable une bouleversante séquence finale de séparation que les petits rituels (l’échange du peigne et du stylo) et l’attention à l’animation environnante du port ne rendent que plus déchirante.
- Kinuyo Tanaka et Den Obinata dans Koi no hana saku Izu no odoriko (Gosho 1933) Shochiku
Les interprètes participent pleinement de la réussite du film. Au milieu d’une troupe d’acteurs qui savent accentuer le trait sans sombrer dans la caricature (les incontournables Chôko Iida et Takeshi Sakamoto sont une fois de plus de la partie), Kinuyo Tanaka dessine un magnifique personnage de jeune fille pas encore sortie de l’enfance, courant à perdre haleine ou lançant des cailloux dans la rivière avant de sauter de rocher en rocher.
Sa grâce et celle de son partenaire Den Obinata illuminent cette merveille de cinéma atmosphérique qui confirme que le trop méconnu Gosho est l’égal de ses contemporains Ozu, Naruse ou Shimizu et qu’il est urgent de le redécouvrir.
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