Au commencement était le Verbe
Le 20 juin 2018
Un poème visuel d’une grande complexité thématique et stylistique. Pour amateurs de films d’auteurs austères et hermétiques.


- Réalisateur : Andreï Tarkovski
- Acteurs : Erland Josephson, Valérie Mairesse, Allan Edwall, Sven Wollter, Susan Fleetwood
- Titre original : Offret
- Genre : Drame
- Nationalité : Britannique, Français, Suédois
- Distributeur : Tamasa Distribution (reprise)
- Date de sortie : 14 mai 1986
- Durée : 2h29mn
- Festival : Festival de Cannes 1986
- Reprise: 20 juin 2018
L'argument : Un vieux professeur fête son anniversaire avec sa famille et ses amis lorsque la radio annonce le début d’un conflit que l’on pense être nucléaire. L’intellectuel cynique essaie alors de tout faire pour sauver les siens et lui-même, y compris de se remettre à prier pour qu’arrive un miracle... Ou est-ce simplement une éclipse de sa raison ?
Notre avis : Andrei Tarkovski a toujours été un poète à l’écoute des pulsations du monde, tout en étant un théoricien passionné du retour à une plus grande spiritualité. Il fut donc toute sa vie en opposition complète avec le pouvoir soviétique, imposant par la force sa théorie esthétique du réalisme socialiste. Pourtant, au début des années 80, le grand cinéaste parvient à échapper au pouvoir russe et s’exile en Occident, laissant derrière lui sa famille, toujours prisonnière du régime communiste. Il choisit la patrie de Bergman pour tourner Le sacrifice (1986) qui sera son œuvre ultime avant d’être emporté par un cancer à l’âge de cinquante-quatre ans. Plus théorique que jamais, ce dernier film est un concentré de toutes les obsessions d’un auteur désormais hanté par l’ombre menaçante de la mort. Au grand désespoir des impatients, Tarkovski réalise une œuvre bavarde, très difficile d’accès par la richesse des thèmes évoqués et d’une lenteur tout hypnotique. Comme si la Suède lui imposait un changement de style, il épure encore plus sa mise en scène et réalise quelques-uns des plus beaux plans-séquences de l’histoire du cinéma : ainsi la première scène du film, d’environ dix minutes, cache sa complexité sous une fausse impression de simplicité, de même que la magnifique séquence de l’incendie de la maison, absolument bluffante de maîtrise.
- Affiche Reprise 2018 (C) Tamasa Distribution
Le cinéaste ose filmer de longues conversations philosophiques qui risquent fort d’indisposer le spectateur lambda, mais qui se révèlent passionnantes de bout en bout, de par leur profondeur psychologique et métaphysique. Totalement dégoûté par la marche du monde moderne, Tarkovski retourne étudier les anciens, leur mythologie et leurs croyances, considérées aujourd’hui comme obsolètes. Pourtant, que de vérités oubliées sont énoncées dans cette ode à la vie : évoquant les violences envers la nature, le sentiment de puissance d’un être humain toujours prêt à s’autodétruire et la nécessité de la transmission du savoir, le cinéaste dresse un bilan désabusé du monde actuel. Une seule lumière apparaît dans ce long cortège de tourments : la croyance en Dieu et en un avenir meilleur, symbolisé par un final mystique tout à fait grandiose, malgré son apparente simplicité. Alors que le jeune fils est muet durant la totalité du métrage, il prononce la dernière phrase du film, hautement symbolique puisque traitant du Verbe sous forme interrogative. A partir du moment où l’homme parle, il s’interroge sur le monde qui l’entoure et sur lui-même. Du doute naît la pensée, origine du génie humain, mais aussi de son plus grand malheur.
Le tout est sublimé par la musique de Bach, utilisée avec parcimonie, mais d’une beauté transcendantale. Il faut également insister sur le magnifique travail de Sven Nykvist, directeur de la photographie attitré d’Ingmar Bergman, composant une série de tableaux vivants qui jouent sans cesse des variations chromatiques de la lumière. Le seul bémol vient de l’interprétation, pas toujours maîtrisée, notamment à cause des impératifs de la coproduction. Ainsi, Valérie Mairesse n’est pas forcément à son avantage dans le rôle de la jeune soubrette tandis qu’Allan Edwall en fait trop en maladroit facteur philosophe. En revanche, Erland Josephson est encore une fois impeccable et très à l’aise dans le drame intimiste. Finalement, Le sacrifice, sans être le meilleur film de son auteur, bouleverse aisément le spectateur, notamment lors de la dédicace finale qui résonne longtemps en nous après la projection comme le plus beau testament artistique d’un homme sentant venir la mort.
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