Le 11 juin 2025
Âpre et engagé, le documentaire de Raphaël Pillosio résonne comme une ultime tentative pour reconstituer des mots arrachés au silence de l’Histoire, celui de la guerre d’Algérie qui continue encore de hanter les esprits.
- Réalisateur : Raphaël Pillosio
- Genre : Documentaire, Historique
- Nationalité : Français
- Distributeur : JHR Films
- Durée : 1h24mn
- Date de sortie : 11 juin 2025
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Résumé : En 1962, Yann Le Masson filme la parole de militantes algériennes à leur sortie de prison en France. Plus de cinquante ans après, alors que la bande-son a disparu, je pars à la recherche de ces femmes. Un film-enquête qui raconte leur histoire silencieuse. Un film-essai sur le cinéma qui figure leur disparition, et pour toujours, les garde vivantes.
Critique : D’abord c’est ce film où des femmes élégantes, cultivées, parlent. Les mots ne sortent pas de leur bouche, et personne n’est capable de les traduire. Et pour cause, celui qui a arraché de sa caméra ces bouts d’images est mort. Avec son décès, c’est toute une page de l’histoire de ces femmes qui s’est évaporé, des militantes du Front National de Libération algérien, condamnées et enfermées à la prison de Rennes, pour certaines à perpétuité voire condamnées à mort.
Les mots qu’elles eurent un jour réveille la tragédie algérienne. À la façon d’un enquêteur de police, Raphaël Pillosio va à la recherche de ces femmes. Certaines refusent d’ouvrir leur porte, d’autres sont très malades ou même décédées, et il y a celles qui acceptent de regarder le film et de se confier à la caméra. Parler de l’Algérie demeure un exercice complexe, clivant, surtout quand le sujet est abordé du point de vue de ces femmes, ces grandes oubliées de l’Histoire, et qui pourtant ont subi les tortures de l’armée française, et ont contribué à l’indépendance de leur pays. C’étaient des femmes intelligentes, lettrées, et il y a d’ailleurs dans le rythme des voix, dans le récit qui accompagne le documentaire, quelque chose qui rappelle à la même époque le phrasé de Marguerite Duras. L’écrivaine de gauche s’est élevée contre le massacre algérien et si elle avait connu ces femmes, sa colère aurait été plus grande.

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Or, justement, Les mots qu’elles eurent un jour est filmé et mis en scène sans colère, à bas bruit. Raphaël Pillosio prend note à la façon d’un archéologue de la chose historique, des traces qui continuent de balayer l’inconscient de ces femmes et hommes. Sa caméra revient à plusieurs reprises sur le film de Yann Le Masson dont on n’entend que le grésillement du silence. Il lui faudra s’entourer de l’expertise de personnes muettes et sourdes pour tenter de recomposer la parole oubliée, les échanges qu’elles ont à l’occasion d’une indépendance qui tarde à accoucher. La dignité du propos est évidente. Car parler de l’Algérie, c’est accepter que la France a failli, a plongé dans inacceptable, qu’elle s’est servie de ses lois pour instrumentaliser un combat en faveur de sa propre hégémonie. Le réalisateur ne se cache pas de faire un film engagé, politique, et il y a évidemment beaucoup de sens à chercher à retrouver la parole perdue de ces militantes.
La sagesse de ces femmes est remarquable, près de soixante ans plus tard. Remarquable car les mots qu’elles martèlent sont dénués de tout pathos, de toute rage gratuite. Elles auraient pourtant des raisons de crier leur colère. Elles commentent les images, se rappellent des souvenirs, donnent des pistes au réalisateur pour pouvoir mettre un nom derrière ces visages, ou bien font semblant de ne plus reconnaître qui elles ont été. Parler du parcours de ces femmes revient à saluer les luttes féminines qui ont prévalu pendant les années 60 jusqu’aux années 80. L’une des protagonistes regrette que son ex-collègue de la résistance se soit enfermée dans la radicalité religieuse et se soit affublée d’une robe qui la sépare du monde des vivants. Mais cette page de l’Histoire est si grave que les femmes comme le réalisateur s’empêchent d’aller plus loin dans la critique ou le reproche.

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On peut regretter un certain académisme dans la manière dont le cinéaste restaure ce pan tragique de l’Histoire. L’image se veut la plus simple possible, la plus dépouillée, pour ne donner prise qu’aux personnages féminins qu’il filme. Il manque une prise de position plus nette, plus franche, même si l’on sait que Raphaël Pillasio est un producteur et un cinéaste qui a à cœur de mettre en valeur les exclus et à réparer la plaie algérienne à travers ses œuvres.
Les mots qu’elles eurent un jour s’affiche comme une ultime tentative de restituer la mémoire de celles et ceux qui ont lutté pour l’indépendance de leur pays. En même temps, le réalisateur prend garde de ne pas mettre en valeur des personnes qui aujourd’hui seraient condamnées pour terrorisme. Il filme des résistantes, qui n’ont jamais franchi la limite tout aussi inacceptable de la mort gratuite et de la terreur. Sans doute parce qu’elles sont des femmes et que, par elles, se poursuit le combat silencieux d’une émancipation culturelle et sociale qui leur a été dérobée si longtemps.
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