Matricule élémentaire...
Le 6 mars 2003
Portrait d’un homme qui esthétise l’amour et la (pro)création, pour mieux passer à côté.
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Claire Legendre s’attaque dans son dernier roman à une histoire d’amours grinçantes et au portrait d’un homme qui esthétise l’amour et la (pro)création, pour mieux passer à côté.
D’abord, un patient, Joseph, invite son dentiste, Clémence. S’ensuit une relation platonique un rien malsaine. Des alibis esthétisants d’une abstinence sexuelle assumée (par Joseph) aux frustrations qui taraudent la jeune vierge, Matricule raconte d’abord un magistral ratage amoureux. Pointe alors l’étrange désir de paternité de Joseph. Notre (anti)héros veut devenir père, in vitro. Géniteur plus que père, donc. S’il ne veut pas de la petite mort, il ne veut pas de la grande non plus. Il refuse sa propre finitude et mélange création et procréation.
Dès l’amorce l’auteur de Viandes dissèque le verbe, écrit dans le nerf, faisant fi d’une grammaire attendue. Le texte est jonché de tentatives verbales pleines de jouissance : formules extra-lapidaires, phrases nominales sur-nombreuses, QCM en dialogue intérieur, citations invitant aussi bien Dalida que Pessoa, Félix Leclerc que Ionesco. Entre humour et torture, le ton demeure toujours cinglant. La causticité se mesure à l’aune du passage où l’héroïne rebaptise au terme d’une réflexion sur son désir "Joseph A" en "Joseph AHHHH". Et toute cette histoire improbable est ponctuée d’étranges présences, fascinantes. Ebloue, l’enfant amputée, ou le patient aveugle qui réclame sa levrette en braille.
L’on se délecte de ces procédés et de cet univers insolites jusqu’au moment du désir d’enfant de Joseph. Dommage, parce qu’à partir de cet absurde besoin de contrôle, un tantinet ridicule, le roman perd en souffle, s’épuise. Les messages sont martelés (oui, oui, on a bien compris), le roman vire à la narration pure, il est question d’éthique, de Roumanie, mais l’on s’ennuie.
Il faut attendre le troisième temps pour retrouver la force de l’auteur. Parce qu’après la vacuité des personnages à laquelle on s’est habitués vient la vie envahissante de l’enfance. L’auteur aborde ici de vraies questions existentielles, d’amour, d’écriture... et d’inceste psychologique. Désarmant, ce Joseph inapte à aimer, cet esthète perfectionniste jusque dans la filiation.
Elle est culottée cette jeune auteur de parler avec tant d’à-propos et dans un verbe si particulier de la paternité. Elle s’attaque à la question de la beauté subjective, de la souffrance ingénue, soulève d’évidentes questions d’éthiques, et parle du poids de la transmission. Jeunes gens en âge de procréer, moins jeunes aussi, revenez à ce sujet qui n’a rien d’éculé et ici finement traité : la figure d’un père.
Claire Legendre, Matricule, Grasset, 2003, 175 pages, 16 €
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