La Dame aux camélias au pays des cerisiers
Le 23 octobre 2025
Soixante-dixième long-métrage de Mikio Naruse et deuxième film du réalisateur à être sorti, en 1984, sur les écrans français, Nuages flottants n’était pourtant plus visible dans les salles obscures depuis trente ans, raison, s’il en fallait une, pour ne pas manquer sa reprise dans une version restaurée en 4K.
- Réalisateur : Mikio Naruse
- Acteurs : Mariko Okada, Masayuki Mori, Hideko Takamine, Isao Yamagata, Chieko Nakakita, Daisuke Katō, Noriko Sengoku, Nobuo Kaneko
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 2h03mn
- Reprise: 15 octobre 2025
- Titre original : 浮雲 [Ukigumo]
- Date de sortie : 25 janvier 1984
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– Reprise en version restaurée : 15 octobre 2025
– Année de production : 1955
Résumé : Après la défaite japonaise, Yukiko, dactylographe sans le sou, retourne à Tokyo dans l’espoir de renouer avec Tomioka, un homme marié avec qui elle a vécu une intense histoire d’amour en Indochine durant la Seconde Guerre mondiale. Mais si leurs retrouvailles ravivent les braises de cette ancienne passion qui les hante, le sombre et indécis Tomioka ne semble pas partager les espoirs de Yukiko. Luttant pour survivre dans une société dévastée, la jeune femme emploiera toutes ses forces à le reconquérir…
Critique : Mikio Naruse a adapté six des ouvrages de Fumiko Hayashi, l’autrice de Nuages flottants, décédée quatre ans avant la sortie du long-métrage et dont on réduit trop souvent l’œuvre à des romans sentimentaux destinés à un lectorat féminin. De fait, sa prose a permis au cinéaste de se renouveler à une époque où il faillit devoir se résigner à accepter des films de commande.
Il est vrai que, à première vue, le scénario de Nuages flottants semble relever du mélodrame, avec son lot d’adultères et d’infidélités, de viols et de crimes passionnels, d’avortements subis et de maladies fatales : et l’ensemble ne tient en un seul long-métrage qu’au prix d’autant de lacunes et d’ellipses. Mais la mise en scène de Naruse confère à l’intrigue une indéniable profondeur, le cinéaste réussissant le tour de force de marcher, sans jamais basculer, sur un fil tendu entre réalisme social et tragédie féminine.

- Copyright : Toho Company Ltd.
Ainsi, plutôt que d’user des ficelles du genre, il opte pour la sobriété et l’épure : les mouvements d’appareil restent limités et le montage s’avère court, par plans rapides, rendant sa caméra, selon l’expression consacrée, « invisible ». Évitant le pathos, les coïncidences et les élans sentimentaux, Naruse préfère juxtaposer de longues conversations intimistes (souvent, selon son habitude, alors que les personnages marchent côte à côte) qui, ici, surprennent par leur dimension sarcastique.
Chronique de la discordance des attachements et des intermittences du cœur, Nuages flottants adopte une approche résolument psychologique pour dépeindre, dans une intrigue qui suit le rythme des sentiments, un monde ondoyant où règne l’impermanence : il faut dire que ses protagonistes vivent toujours sans l’autre, jamais sans l’autre dans un Japon confronté à une occidentalisation forcée et miné par les faillites tant financières que morales, où les femmes deviennent l’exutoire des ambitions contrariées.

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Spécialiste du shomingeki, Naruse fait dans son cinéma la peinture d’un Japon quotidien, dépouillé du prestige de l’Histoire et des charmes du folklore. Dans Nuages flottants, il reconstitue, dix ans après la capitulation, un pays blafard ruiné par la défaite, qu’habite une profonde nostalgie et qu’incarnent par synecdoque les faubourgs de Tokyo, ou l’île de Yakushima, où « il pleut trente-cinq jours par mois ».
Le film ouvre certes, à la faveur de flash-back, une parenthèse romanesque et exotique en montrant la rencontre des personnages principaux à Dalat, mais c’est afin de mieux trancher avec les plans d’actualité par lesquels il débute : car, de puissance occupante en Indochine, le Japon est devenu un pays occupé. Aussi le film se déroule-t-il principalement dans la « ville basse », où s’amoncellent des baraques de fortune sans électricité.

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Sans jamais se faire ni sociologue ni moraliste, Naruse observe ses personnages avec un apparent détachement, mais un profonde pudeur : Tomioka (Masayuki Mori), pitoyable d’opportunisme, d’inconstance et de veulerie, dont la lâcheté occasionne la mort de trois femmes ; mais surtout Yukiko (Hideko Takamine), dont le cinéaste adopte le point de vue et qu’il filme avec autant de dignité que cette dernière poursuit, jusque dans le vol et la vénalité, un amour impossible, auquel elle continue pourtant à croire en dépit de l’usure du temps et des trahisons.
Au fil de ses quatre-vingt neuf films tournés en trente-sept ans, Naruse s’est fait le portraitiste des femmes japonaises : elles n’y sont jamais réduites à des êtres fragiles ballottés par une société dominée par les hommes, mais luttent pour leur bonheur. Paradoxalement, ce réalisateur que Hideko Takamine surnommait « le vieil homme méchant », tant ses silences et sa franchise la terrorisaient, a réservé sa tendresse à ses seules héroïnes : l’actrice tourna d’ailleurs rien moins que dix-sept films sous sa direction.

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Issu d’une famille pauvre (comme d’ailleurs Fumiko Hayashi), orphelin à quinze ans, Naruse fut, son existence durant, un homme solitaire qui noyait dans l’alcool sa difficulté à vivre : « dès mon plus jeune âge », confessait-il, « j’ai pensé que le monde dans lequel nous vivons nous trahit ». Rien d’étonnant à ce que son cinéma explore tout ce que l’amour recèle de grandeur et de misère, Nuages flottants racontant plus précisément l’impossibilité d’oublier une idylle née dans l’insouciance de l’occupation coloniale et devenue malheur d’aimer.
Et ce n’est qu’au final que le cinéaste renonce à son désarroi existentiel dans un élan de lyrisme d’une beauté saisissante que parcourt le frisson des histoires d’amour désespérées : alors que Yukiko vient de rendre l’âme dans une masure battue par la pluie, Tomioka prend un tube de rouge dans son sac, lui en maquille les lèvres, et il pleure.
Notes : Premier des "Dix Meilleurs Films" de Kinema Jumpō pour l’année 1955, troisième meilleur film japonais de tous les temps selon le classement établi par la même revue en 1999 et trente-sixième film préféré d’Akira Kurosawa, Nuages flottants a été présenté par Mikio Naruse comme un condensé de son cinéma. Yasujirō Ozu aurait confié qu’il s’agit du seul film, avec Les Sœurs de Gion de Kenji Mizoguchi, qu’il aurait été incapable de réaliser.
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