Il était une foi
Le 26 janvier 2018
LE chef-d’œuvre d’Andrei Tarkovski est enfin disponible dans une édition blu-ray irréprochable. A voir et revoir.


- Réalisateur : Andreï Tarkovski
- Acteurs : Anatoli Solonitsyn, Nikolaï Bourliaïev, Nikolaï Grinko, Ivan Lapikov, Yuri Nazarov
- Titre original : Andrey Rublev
- Genre : Drame, Biopic, Historique
- Nationalité : Russe
- Distributeur : Potemkine Distribution
- Editeur vidéo : Potemkine, Agnès B. DVD
- Date de sortie : 19 novembre 1969
- Durée : 3h02mn
- Reprise: 5 juillet 2017
- Box-office : 365.820 entrées France - 231.788 entrées P.P
Année de production : 1966
Sortie du blu-ray : 7 novembre 2017
Sortie de l’intégrale Tarkovski : 5 décembre 2017
L'argument : En 1405, le peintre Théophane le Grec demande à Andreï Roublev de venir travailler avec lui à la décoration de l’église de l’Annonciation à Moscou. Quelques années plus tard, bouleversé par la violence de l’époque, Roublev renonce à son art et se mure dans le silence.
Notre avis : Dès 1962, Andrei Tarkovski s’associe à Andrei Konchalovsky pour évoquer le destin d’un célèbre peintre du Moyen Âge nommé Andrei Roublev. Pourtant, il lui faudra de nombreuses années pour concrétiser sa vision artistique qui nécessitait un budget très élevé. Obligé de couper dans son scénario, Tarkovski finit toutefois par mettre en scène ce faux biopic d’un artiste dont on connait finalement peu de choses sur le plan historique. Ce flou artistique factuel permet au réalisateur une totale liberté qu’il met en application en créant une narration morcelée en plusieurs épisodes. D’une audace folle, le script se permet parfois d’abandonner le personnage principal durant l’intégralité d’un chapitre sans que cela paraisse gênant puisque le cinéaste plie sa logique narrative à l’idée qu’il est en train de développer.
Ici, il dépeint les rapports de l’artiste avec le monde extérieur, le pouvoir et même le divin. Alors qu’Andrei Roublev n’aspire qu’à la pureté de son art, cherchant partout la beauté, il se retrouve rapidement confronté à la violence de son époque – pour mémoire le Moyen Âge russe est particulièrement chaotique, notamment à cause d’incessantes guerres d’invasion. Le réalisateur évoque au passage la forte résistance païenne lors d’une magnifique séquence sur la fête de la Saint-Jean, mais également les incursions et destructions menées par le peuple des Tatars, souvent aidé par des seigneurs russes dans leur marche vers Moscou au début du 15ème siècle. Cette extrême violence d’un monde barbare est décrite dans le film avec une puissance peu commune, notamment lors d’une longue séquence centrale d’une vingtaine de minutes qui voit la prise de la ville de Vladimir et le massacre de sa population. Dans cet épisode central, Tarkovski montre pour la première fois sa capacité à diriger des scènes d’action, avec des centaines de figurants. Il y déploie une maestria qui laisse encore aujourd’hui pantois d’admiration. Ne reculant devant aucun obstacle, le cinéaste ose le gore (yeux crevés, cranes fendus), les scènes de torture, la maltraitance d’animaux (simulée) et même de nombreux nus frontaux évoquant le viol.
Nul voyeurisme pourtant puisque le but du réalisateur est bien de dénoncer la violence sous toutes ses formes, qu’elle soit politique ou même religieuse. On peut d’ailleurs y lire une critique à peine voilée du régime soviétique des années 60, ce qui peut expliquer les difficultés rencontrées par le cinéaste pour sortir son film. Effectivement, le cinéphile d’aujourd’hui peut lire Andrei Roublev comme une œuvre autobiographique contant la difficulté d’un artiste tel que Tarkovski à créer une œuvre belle et pure au cœur d’un régime barbare. De même, avec l’épisode du fondeur de cloche, Tarkovski évoque la filiation entre son père poète et lui-même. L’histoire du vrai peintre Andrei Roublev n’est donc qu’un prétexte pour parler du temps présent et des doutes et inquiétudes de Tarkovski, prisonnier d’un régime autoritaire.
Avec sa sublime photographie en noir et blanc qui fait souvent référence aux tableaux de Bruegel, ses acteurs inspirés, dont le toujours magnifique Nicolaï Bourlaïev, très émouvant en jeune apprenti, et sa caméra virevoltante qui ose tous les défis lors de plans-séquences démentiels, Andrei Roublev est sans contestation aucune un pur chef-d’œuvre, de ceux qui comptent à jamais dans la vie d’un cinéphile. Considéré aujourd’hui comme l’un des plus beaux films de tous les temps, il ne fut pourtant pas beaucoup diffusé à l’époque de sa sortie, trois longues années après sa réalisation. Une injustice largement réparée depuis.
Le test blu-ray :
Les suppléments :
La galette contient comme pour le reste de la collection un passionnant entretien avec Eugénie Zvonkine (24mn) qui rappelle tout d’abord les difficultés rencontrées par Tarkovski pour concrétiser sa vision. Puis, elle choisit d’analyser le métrage à partir de quatre angles d’attaque très pertinents. Ses analyses sont toujours aussi précieuses, claires et là encore sans volonté de sur-interpréter l’œuvre étudiée. On apprécie décidément beaucoup ces modules. Ensuite, on peut suivre un court entretien (4mn) avec l’acteur Yuri Nazarov qui livre quelques anecdotes et un module muet (5mn) où l’on peut observer Tarkovski sur le tournage de la séquence guerrière. Mais la cerise sur le gâteau vient de la présence de la version intégrale du film, avant que les autorités soviétiques ne réalisent des coupes. D’une durée de 3h26, cette version (présentée dans une copie moins restaurée) propose donc quelques scènes rallongées, ainsi que des plans gore plus explicites. On voit donc que la censure de l’époque n’a pas beaucoup apprécié l’extrême violence du film.
L’image :
Tout bonnement parfaite, la copie proposée mérite amplement son appellation HD tant elle nous permet de redécouvrir le film dans toute sa splendeur originelle. La profondeur de champ est à couper au rasoir, la précision impeccable et le petit grain argentique est toujours bien présent, respectant scrupuleusement la volonté des auteurs.
Le son :
Deux pistes en DTS HD Master Audio sont disponibles, l’une en mono et l’autre en 5.1 (les deux en VOstf). Peu de différences toutefois puisque la seconde se contente de spatialiser un peu plus les quelques envolées musicales. L’ensemble est de très bonne tenue car aucun souffle n’est à déplorer, ni la moindre saturation.
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