Le 7 septembre 2025
Virtuose et profonde, cette chronique d’une famille (presque) ordinaire en plein cœur d’Israël arrive à bon escient sur les écrans dans la tourmente israélo-palestinienne.
- Réalisateur : Scandar Copti
- Acteurs : Manar Shehab, Toufic Danial, Wafaa Aoun, Raed Burbara, Meirav Memoresky, Imad Hourani
- Genre : Drame, Film pour ou sur la famille
- Nationalité : Israélien, Français, Allemand, Italien, Palestinien, Qatari
- Distributeur : Nour Films
- Durée : 2h04mn
- Titre original : Yin'ād 'Alīku
- Date de sortie : 3 septembre 2025
- Festival : Festival de Venise 2024
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Résumé : Dans une famille palestinienne de Haïfa, Fifi, vingt-cinq ans, est hospitalisée après un accident de voiture qui risque de révéler son secret. Son frère, Rami, apprend que sa petite amie juive est enceinte. Leur mère, Hanan, tente de préserver les apparences tandis que le père affronte des difficultés financières. Quatre voix, une maison, entre conflits générationnels et tabous, dans une société où tout peut basculer à tout moment.
Critique : S’il était utile de rappeler la scission profonde qui oppose durablement la Palestine et Israël, le long-métrage de Scandar Copti vient à point nommé sur les écrans français. Le cinéaste palestinien, qu’on n’avait pas revu depuis le très bon Ajami (2009, coréalisé par Yaron Shani), multi-récompensé, raconte mieux que personne la difficulté des Arabes palestiniens qui vivent à Israël. Pourtant, même en présentant une famille bourgeoise, bien insérée, très détachée du dogmatisme religieux, il montre que la méfiance qui oppose les juifs et les Arabes est si puissamment installée dans l’imaginaire des habitants qu’elle ne permet pas un dialogue serein et respectueux entre les uns et les autres.
Deux récits habitent ce drame familial, autour du frère aîné Rami, entretenant une relation avec une jeune femme juive, Shirley, qui vient d’apprendre qu’elle est enceinte ; et autour de la plus jeune sœur, Fifi, qui doit cacher à sa famille son dossier médical après un accident de voiture. Le poids de la tradition continue de hanter les relations sociales entre les gens d’Haïfa, avec d’un côté les Arabes qui ont du mal à échapper au communautarisme et de l’autre, les juifs qui vivent dans la peur des Palestiniens et le repli nationaliste. Le dialogue et le vivre-ensemble pourtant si nécessaires pour faire société est impossible, s’illustrant dans le destin tragique et désespéré du frère et de la sœur confrontés à l’aveuglement de la société israélienne contemporaine tout entière.

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Il faut d’emblée saluer le montage et le scénario très astucieux de ce qui ressemble à une fresque familiale au cœur d’Israël. Le récit passe du point de vue d’un personnage à l’autre, avec l’ambition de montrer la représentation de chacun du monde qui l’entoure. Le vieux combat des anciens et des modernes se rejoue entre les enfants qui voudraient vivre leur liberté, leur amour au grand jour, et leurs parents enfermés dans les stéréotypes de leur communauté et de leur classe. Ce n’est pas la première fois que Scandar Copti aborde les relations amoureuses entre des jeunes gens issus des communautés juives et arabes en Israël. Le propos a grandi en maturité et en hauteur d’esprit. Le réalisateur restitue dans une langue cinématographique très dense, très aboutie, l’impossibilité pour les générations à venir de dépasser le clivage structurel entre juifs et musulmans. On peut à juste titre craindre que l’abomination commise par le Hamas contre des jeunes fêtards juifs n’arrangera pas le conflit.
Mais Chroniques d’Haïfa - Histoires palestiniennes échappe aux poncifs du film politique. Il s’agit avant tout d’un récit familial intense, où parents et enfants tentent de s’aménager un univers paisible en dépit des problèmes d’argent qui les hantent. Chacun tente de faire bonne figure dans un environnement plutôt hostile où l’ouverture d’esprit n’est pas encouragée. Le réalisateur ne privilégie pas un camp ou l’autre. Il regarde deux familles d’appartenance juive et arabe qui cherchent à conjuguer respect des traditions et modernité. Beaucoup de scènes se passent dans des institutions hospitalières, comme si le réalisateur tentait la guérison d’une terre affaiblie et malade de ses conflits religieux et communautaires. Les peuples saluent leurs sacrifiés pendant que les bombes continuent de pleuvoir sur la ville.

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L’apparente neutralité du réalisateur apporte beaucoup de grâce et de profondeur au récit. La bande-son qui accompagne l’histoire accentue le sentiment d’une œuvre aboutie, d’une immense dignité. La fiction refuse la polémique. Elle se noue autour d’un appel à l’émancipation des peuples, et en particulier des femmes. Le personnage de Fifi est absolument magnifique. Il résonne comme une invitation à toutes les jeunes femmes du monde à vivre leur destin comme elles l’entendent, et appréhender la liberté comme un emblème de vie.
Chroniques d’Haïfa - Histoires palestiniennes est un film dense, d’une incroyable intelligence. Les deux heures passent dans une très grande fluidité, grâce à des personnages entiers, engagés et sincères, qui tentent de contenir leurs tensions culturelles et familiales. Surtout, on retiendra du film les personnages féminins, qu’ils soient juifs ou arabes, d’un immense courage et qui dessinent peut-être ce que le monde saura écrire un jour : une paix durable entre les peuples.
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