Le 4 janvier 2023
La plume protéiforme de Colson Whitehead se familiarise et embrasse la langue parlée du Harlem des années 1960, entre magouilles et menaces voilées.


- Auteur : Colson Whitehead
- Collection : Terres d’Amérique
- Editeur : Albin Michel
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Charles Recoursé
- Date de sortie : 4 janvier 2023
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur

Résumé : Époux aimant, père de famille attentionné et fils d’un homme de main lié à la pègre locale, Ray Carney, vendeur de meubles et d’électroménager à New York sur la 125e Rue, « n’est pas un voyou, tout juste un peu filou ». Jusqu’à ce que son cousin lui propose de cambrioler le célèbre Hôtel Theresa, surnommé le Waldorf de Harlem… Chink Montague, habile à manier le coupe-chou, Pepper, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Miami Joe, gangster tout de violet vêtu, et autres flics véreux ou pornographes pyromanes composent le paysage de ce roman féroce et drôle. Mais son personnage principal est Harlem, haut lieu de la lutte pour les droits civiques, où la mort d’un adolescent noir, abattu par un policier blanc, déclencha en 1964 des émeutes préfigurant celles qui ont eu lieu à la mort de George Floyd.
Critique : Colson Whitehead adopte cette fois une langue familière et colorée, délaissant la charge émotionnelle de Underground Railroad et de Nickel Boys pour s’amuser, s’allégeant des pensées macabres qui accompagnaient l’écriture de ces deux romans précédents. Loin de l’esclavage, du racisme institutionnalisé et sanglant qui imprégnait ces deux titres, il se plonge ici dans le Harlem des années 1960, dans un monde noir qui se frotte peu aux hautes sphères blanches – sauf lorsque la corruption l’exige, soit plus souvent qu’on ne le croit. Le mouvement de lutte pour les droits civiques se devine en arrière-plan, à coup d’émeutes et de vitrines brisées, de meurtres commis par la police et d’itinéraires compliqués par les manifestations. La « négritude » est présente en filigrane, rappelant sa présence par flashs, avant de se fondre de nouveau dans le noir du texte. Sur le devant de la scène, ce sont les intrigues qui se jouent dans l’ombre, les braquages et les vengeances, les cambriolages et les menaces armées. Raymond Carney, le vendeur de meubles héros de Harlem Shuffle, n’est pas vraiment un hors-la-loi et il n’aurait jamais trempé dans toutes ces affaires louches sans le concours de son cousin, Freddie – et ce malgré son voyou de son père.
En trois parties, ce roman noir met l’accent sur un trio de magouilles, chacune sans liens véritablement tangibles avec les autres, ce qui contribue à en faire un livre désuni et manquant de cœur. Si Raymond a une famille qu’il aime et des atermoiements légitimes, il reste assez superficiel, un pantin qu’anime l’auteur pour mieux s’imprégner de l’atmosphère de ces bas-fonds. Certains détails permettent en effet aux décors de se déployer les uns après les autres, d’un hôtel luxueux à un bar miteux, du showroom de Raymond aux habitacles étouffants, des silhouettes de bandits se dessinant en ombre chinoise, menaces voilées et peu incarnées. L’action se cache en effet derrière des discours et des récits à l’imparfait, des doutes et des dissimulations éphémères.
L’auteur nous a habitués à n’avoir aucun pathos, préférant les énoncés simples et brefs aux longues phrases qui sentimentalisent l’horreur. Ici, le sujet ne fait pas chavirer les cœurs, ne noue pas les gorges – et ce n’est donc pas la langue de Colson Whitehead qui habillera d’émotions ces intrigues de voyous qui ne sont pas sans faire penser aux livres de William Boyle (même si celui-ci arrive justement à mêler humanité et combines de mafieux).
Colson Whitehead - Harlem Shuffle
Albin Michel
22,90 €
140.00 mm x 205.00 mm
432 pages
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Spitfire89 26 janvier 2025
Harlem Shuffle - Colson Whitehead - critique du livre
Comme pour Nickel Boy nous retrouvons la plume de l’auteur dans un policier historique et nous retrouvons le thème du racisme dans une autre ambiance. L’auteur réinvente les codes du genre et il nous entraine à New York et Harlem.
On retrouve une belle galerie de personnages parfois atypique, le milieu des gangster, une lutte des classes sociaux. Un décor, une intrigue et des personnalités le tout réussi. Une vision complexe et piquante avec un soupçon d’humours voir de l’humours noirs.
Une plume addictive qui nous tiens en haleine. Cette ouvrage est bien moins sombre que nickel boy.
Gros coup de coeur pour le travaille de la psychologie des personnages et même la loufoquerie de certains.
"Il suffisait à Carney de marcher cinq minutes dans n’importe quelle direction, et les maisons de ville immaculées d’une génération donnée devenaient les maisons de shoot de la suivante, des taudis racontaient en chœur le même abandon, et des commerces ressortaient saccagés et détruits de quelques nuits d’émeutes. Qu’est-ce qui avait mis le feu aux poudres, cette semaine ? Un policier blanc avait abattu un jeune Noir de trois balles dans le corps. Le savoir-faire américain dans toute sa splendeur on crée des merveilles, on crée de l’injustice, on n’arrête jamais."