Le 5 mai 2025
Margarethe von Trotta restitue la relation entre l’écrivaine allemande Ingeborg Bachmann et le dramaturge suisse Max Frisch dans une mise en scène volontairement personnelle où Vicky Krieps trouve là un des meilleurs rôles de sa carrière. Une œuvre majeure de la réalisatrice d’Hannah Arendt.


- Réalisateur : Margarethe von Trotta
- Acteurs : Ronald Zehrfeld, Vicky Krieps, Luna Wedler, Renato Carpentieri, Tobias Resch, Basil Eidenbenz
- Genre : Drame, Biopic
- Nationalité : Allemand, Autrichien, Suisse, Luxembourgeois
- Distributeur : Splendor Films
- Durée : 1h51mn
- Titre original : Ingeborg Bachmann - Reise in die Wüste
- Date de sortie : 7 mai 2025
- Festival : Festival de Berlin 2023

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– Année de production : 2023
Résumé : À trente ans, la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann est au sommet de sa carrière lorsqu’elle rencontre le célèbre dramaturge Max Frisch. Leur amour est passionné mais des frictions professionnelles et personnelles commencent à perturber l’harmonie.
Critique : Ce n’est pas la première fois que Margarethe von Trotta met en scène des grandes figures littéraires, politiques ou artistiques au cinéma. Le dernier film de la réalisatrice allait justement sur les traces d’Ingmar Bergman dans un documentaire soigné et travaillé. La cinéaste récidive dans un biopic très personnel où elle retrace le parcours littéraire et amoureux de la poétesse allemande Ingeborg Bachmann. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un biopic traditionnel. Au contraire. Le scénario emprunte des chemins très originaux pour rendre compte de l’existence entière de cette femme, tout en se consacrant sur une portion de son existence, à savoir sa rencontre avec le dramaturge Max Frisch jusqu’à leur séparation. La description de leur relation pour le moins toxique est entrecoupée d’un long itinéraire à travers le désert, symbole sans doute d’une écrivaine qui a perdu l’inspiration et se confronte au vide personnel et artistique.
- Copyright Wolfgang Ennenbach
On sait que l’écrivaine décèdera aux abords de la cinquantaine dans des conditions dramatiques. Pour justifier de l’originalité du traitement biographique par Margarethe von Trotta, on pense ainsi à cette scène où l’écrivaine, invitée à une soirée mondaine, fait tomber sa cigarette sur sa robe qui prend feu. En effet, la poétesse est morte dans un incendie provoqué par l’abus de psychotropes et une cigarette allumée dans son lit. Tout fonctionne ainsi par analogie, dans une mise en scène des plus épurées, qui ne cède jamais au mélodrame, au catastrophisme et à l’exagération. La cinéaste ne fabrique pas un film romantique comme souvent le cinéma le fait quand il s’agit de retracer l’existence d’artistes emblématiques. La mise en scène ne surajoute pas à l’émotion. Elle restitue la brutalité de la relation amoureuse avec la froideur d’un sociologue qui rend compte subrepticement de la mécanique de la violence conjugale, sans nommer les choses directement.
Ingeborg Bachmann a tardé à trouver un distributeur en France depuis le Festival de Berlin. Il est heureux que le cinéma offre enfin cette page littéraire sur les écrans, laquelle interroge globalement le rapport à la liberté par le biais d’une figure féminine renommée. Les rouages du harcèlement psychologique dans le couple sont décrits avec une minutie d’entomologiste. Aussi brillante soit Ingeborg Bachmann, elle ne parvient pas à se défaire de l’emprise de l’écrivain, en dépit du fait qu’elle est empêchée d’écrire et qu’elle se perd dans les antidépresseurs. La jeune femme compense la prison intérieure dans laquelle elle est enfermée avec des amants de passage qui, pour une grande majorité d’entre eux, la mettent en garde sur sa relation toxique avec Max Frisch.
- Copyright Wolfgang Ennenbach
Il faut souligner la réalisation extrêmement soignée, grâce notamment à des costumes et des décors d’une très grande beauté. Vicky Krieps rayonne dans ce rôle d’écrivaine, d’autant plus fragile qu’elle est convaincue de sa liberté d’esprit et de conscience. L’actrice excelle dans la peau d’une romancière tout en paradoxes qui lutte contre une dépression profonde et des ambivalences s’agissant de son rapport à l’emprise. Son conjoint, interprété par un Ronald Zehrfeld stupéfiant, ne faillit jamais à la caricature du bourreau. Sa toxicité est implicite, très subtile, dans les éléments de langage qu’il brandit auprès de sa compagne, et cette démesure physique qu’il donne à voir. En ce sens, Ingeborg Bachmann est un exemple de mise en scène, pour une cinéaste mature, engagée, qui n’a plus rien à prouver en matière de langage cinématographique.
Ingeborg Bachmann est une œuvre résolument moderne et anticipatrice d’un monde en mutation si les femmes assument et portent l’émancipation dont elles ont le droit et le devoir. Le film raconte presque la lutte et l’abandon de ce combat par une femme intellectuelle qui avait pourtant les moyens de son émancipation. Sa détresse affective, la facilité avec laquelle elle cède à la dépendance tout en nourrissant son inclinaison à multiplier les relations amoureuses interrogent peut-être sur la faillite d’un monde où peu à peu les femmes acceptent la domination et le joug de la masculinité sur leur destin. Margarethe von Trotta lance un cri comme une alerte, non pas sur une période révolue, mais celle qui s’ouvre pour le spectateur contemporain.
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