Le 16 septembre 2025
Ce film, à la fois intime et universel, dresse un portrait sans concession de la précarisation à la française. Un instantané brut, lucide, et profondément engagé.
- Réalisateur : Laura Wandel
- Acteurs : Léa Drucker, Alex Descas, Laurent Capelluto, Anamaria Vartolomei, Claire Bodson, Charlotte De Bruyne
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : Memento Distribution
- Durée : 1h18mn
- Date de sortie : 17 septembre 2025
- Festival : Festival de Cannes 2025
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Résumé : Face à la détresse d’une jeune mère et son fils, une infirmière décide de tout mettre en œuvre pour les aider quitte, à défier sa hiérarchie.
Critique : L’intérêt d’Adam, puissant brûlot politique, nous laisse littéralement sonnés à la sortie de la projection. Ce film de Laura Wandel, peintre du social et cinéaste du réel, arrive quatre ans après Un monde, immersion poignante dans l’univers scolaire à hauteur d’enfant, où une fillette découvrait que son frère est victime de harcèlement. Ce premier long-métrage, déjà radical dans sa mise en scène, confrontait frontalement le spectateur à la persistance de la violence sociale dès la petite enfance. Avec L’intérêt d’Adam, Wandel poursuit son exploration de cette brutalité systémique, en déplaçant son regard vers un autre lieu de souffrance : l’hôpital. En un peu plus d’une heure, elle transforme cet espace censé soigner en arène tragique, révélant le délitement du corps social et l’effondrement du lien collectif. Ce n’est plus seulement l’individu qui vacille, mais l’institution elle-même, le service public, devenu incapable de remplir sa mission, faute de moyens, de reconnaissance, de vision. Par une écriture tendue et sans fioritures, Wandel donne à voir une France de l’ombre, abandonnée et ignorée des gouvernants, où la précarisation est telle que l’hôpital, conçu pour le soin, finit par maltraiter. Ce qui devait protéger devient machine à broyer, organisme en roue libre, miroir d’une société qui se désagrège. Au cœur de cette désolation, deux figures féminines émergent avec difficulté, mais sont d’une intensité bouleversante. Léa Drucker, une fois encore phénoménale, incarne une infirmière au bord de la rupture, confirmant avec Dossier 137 (Cannes 2025), son statut d’actrice de premier plan. Face à elle, Anamaria Vartolomei, encore une fois remarquable, campe une mère célibataire en détresse, isolée socialement et affectivement, dont l’amour fusionnel pour son enfant devient paradoxalement toxique. Toutes deux sont les deux faces d’une même pièce : victimes d’un système qui broie sans distinction. Drucker évolue dans un environnement hospitalier de plus en plus délétère, gangrené par une violence insidieuse qu’elle refuse de cautionner. Vartolomei, quant à elle, incarne une mère courage, mais tellement coupée du monde qu’elle met en péril la santé de son fils, refusant toute nourriture extérieure, convaincue qu’elle seule peut le nourrir, au sens propre comme au figuré, ralentissant sa croissance sans jamais perdre sa foi dans son propre geste maternel. La force du film réside dans sa capacité à ne jamais opposer ces deux femmes. Il ne construit pas une dynamique d’antagonisme, mais une matrice de coexistence, où chacune va peu à peu apprendre de l’autre, s’apprivoiser, se transformer. La mère, enfoncée dans sa solitude, perd le contact avec elle-même, persuadée pourtant d’agir pour le bien de son enfant. Elle n’est jamais montrée comme délirante ou coupée du réel, mais comme intimement convaincue d’être dans le juste, victime d’une institution qu’elle perçoit comme hostile. Face à elle, l’aide-soignante, elle aussi mère divorcée, vacille. Elle choisit de ne pas se désolidariser du petit Adam, et décide de plonger corps et âme dans cette relation mère-fils, dans l’espoir de sauver la mère d’elle-même. Elle remue ciel et terre, se donne entièrement, là où ses collègues renoncent, quitte à se perdre, à risquer son poste, à franchir les limites du raisonnable.

- © Maxence Dedry
La relation fusionnelle qui se tisse progressivement entre les deux femmes est le véritable cœur battant de L’intérêt d’Adam. Le film ne raconte pas seulement leurs destins croisés : il les superpose, les entremêle, jusqu’à ce que l’infirmière et la mère apparaissent comme deux reflets d’un même miroir, deux figures prises dans les rets d’un système qui les dépasse. Tourné dans l’unité de lieu et de temps d’une nuit d’hôpital, le film bascule peu à peu dans un espace mental, entièrement modelé par le regard de son héroïne. La caméra, souvent braquée sur sa nuque, resserre la focale jusqu’à faire du décor un monde abstrait, désincarné, peuplé de silhouettes fantomatiques et de présences à peine perceptibles. L’espace social devient un entre-deux, une zone floue où l’humain s’efface derrière les protocoles. Cette désincarnation est renforcée par un travail sonore remarquable : les bips des appareils cardio-respiratoires, les validations de cartes d’accès, les grincements de chariots, les souffles du tensiomètre, les couinements des lits articulés… tout concourt à rendre l’arène hospitalière organique, chaotique, bruyante. Une immersion sensorielle qui brouille la pensée, empêche le recul, et rend le jugement difficile, comme pour les soignants eux-mêmes. Le film ne se limite pas au cas d’Adam. Il montre aussi d’autres situations, tout aussi poignantes : une sœur aînée demandant à l’infirmière de déclarer une appendicite plutôt qu’un avortement, pour ne pas alerter des parents incapables d’entendre la vérité ; des enfants maltraités, laissés sans accompagnement psychologique dans une salle de jeu, pendant que le père est au commissariat et la mère en réanimation. Ce ne sont pas de simples vignettes : elles forment un tissu narratif cohérent, qui soutient le parcours de Léa Drucker et densifie le propos du film. Derrière ce geste de cinéma radical se dessine une analyse sociologique terrifiante : celle de la transmission de la violence sociale par interconnexions, glissements, silences. La véritable tragédie de L’intérêt d’Adam réside dans l’immuabilité des mécanismes de cette violence, au sein d’une structure sociale aliénante où la logique sécuritaire finit par nier l’humain. Une scène en particulier cristallise cette dérive : le chef du service pédiatrique, face à l’impasse provoquée par le refus de la mère de quitter la chambre, s’enfermant dans les toilettes, appelle la sécurité pour défoncer la porte, et ainsi se retirer de l’équation. Ce geste, qui traumatise l’enfant, n’est rien d’autre qu’une forme de maltraitance institutionnelle, un abandon déguisé en protocole, une manière de se protéger, de préserver son poste, de se faire bien voir de la hiérarchie, au mépris total de l’intelligence émotionnelle.

- © Laura Wandel
Ainsi, Laura Wandel réussit une fois encore son pari audacieux : mêler les codes du thriller social à une veine naturaliste, faussement documentaire, pour offrir au spectateur une expérience de cinéma organique et viscérale. L’intérêt d’Adam s’impose comme un geste aussi fort, aussi radical que son premier long métrage, déjà exceptionnel. À travers ce film, Wandel ne raconte pas seulement une histoire : elle nous alerte. Elle met en lumière une violence sociale diffuse, omniprésente, agissant comme une entité invisible qui façonne nos choix, gestes et renoncements. Qu’il s’agisse de cette mère désespérée, refusant toute aide médicale par peur de l’altérité, enfermée dans un monde factice, ou de cette infirmière qui, en se donnant corps et âme à sa mission, tente de sauver l’enfant en sauvant la mère, au risque de la blesser, de se perdre, de rompre, tous rejouent les mêmes mécanismes au sein d’un système oppressif et déshumanisant. Ce que Wandel capte avec une acuité rare, c’est l’implacable reproduction de la violence sociale, sa transmission silencieuse, ses interconnexions insidieuses. Et c’est là que réside la véritable tragédie : dans l’impossibilité de briser le cycle, dans l’aveuglement des institutions, dans la négation de l’humain au nom du protocole. L’intérêt d’Adam a présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. On attend son troisième long-métrage avec une impatience brûlante. Et si possible, cette fois, en compétition officielle. Il est temps de passer la troisième.
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