Model, plongée fascinante au coeur des apparences - la critique du film

Notre avis : Dans ce qui s’apparente à l’essence même de l’illusion et du paraître, Frederick Wiseman pose sa caméra et dit beaucoup sans piper mot. Soit l’agence de mannequin Zoli à New-York, au tout début des années 80. Les jeunes modèles défilent, au propre comme au figuré, dans les couloirs de l’agence et les salles de shooting. Elles attendent le verdict des model-scouts, ceux qui décident de l’avenir de ces jeunes femmes auxquelles on accole des styles prédéfinis. "La belle américaine traditionnelle", "la new-yorkaise brune qui n’a pas froid aux yeux". Une jeune femme d’un mètre soixante-neuf voit se refermer les portes de la gloire et du mannequinat. Trop petite. Un autre a le visage qui manque de caractère. Ils devront se tourner vers la pub, moins exigeante. Quand on lui demande s’il pourrait poser nu, un jeune mannequin répond par l’affirmative, mais, précise t-il, pour une grosse somme d’argent.
Tout est dit sans que Wiseman, dont l’oeil suffit, ne commente les images qu’il tourne. Au détour d’une scène de maquillage, le film dit tout de la condition des femmes. Un couple de modèles se prépare pour une séance photo. Elle, entre les mains d’un maquilleur, manipulée dans tous les sens et tartinée dans les moindres recoins. Lui, un rasoir électrique à la main, pour éviter la barbe de trois jours.

Le regard  souligne les aberrations d’un monde hyper-codé où les diktats esthétiques font la loi. Mais Wiseman sait aussi se faire tendre lorsqu’il filme ces jeunes gens combatifs à la carrière souvent courte. Là encore, le documentariste n’oublie pas de rappeler que la carrière d’une femme est plus courte que celle d’un homme. A cette jeune femme qui soupire à force de lever la jambe pour une pub de collants, Frederick Wiseman semble dire toute son affection. Le réalisateur n’hésite pas à montrer les interminables séances de shooting qui n’en finissent pas de vouloir chasser le naturel de ces jeunes gens pour les transformer en pantin.Au delà de son format documentaire, Model est aussi un véritable objet de cinéma, qui joue de son sujet et des situations qu’il amène avec la malice du réalisateur qui veut déjouer la réalité en y apportant un peu de fiction. Fiction apparente, car reflet d’une réalité qui n’existe que pour l’artifice, mais réalité tout de même. Voir ce tournage surréaliste d’une publicité dans les rues de New-York. Une jeune femme descend des marches ad nauseam jusqu’à avoir "une posture un peu plus jolie avec ses jambes". Wiseman filme les voisins regardant la scène, fascinés par cet exercice masochiste, statique. Le cadre est celui d’une comédie bouffonne. Il est aussi celui de la métaphore lorsque le réalisateur filme une séance photo dans le reflet d’un miroir. Constat limpide. Mais constat seulement. Wiseman se garde d’être un moralisateur. Il observe, sans vouloir changer ce qu’il voit. A l’inverse du petit monde brillant de la mode qu’il filme. Un vase clos, dont il se libère finalement dans les derniers plans. Exit la rue, exit la ville. On est sorti du bocal. Pas ceux qui s’y sont enfermés, pour l’espoir de la gloire ou, peut-être, l’illusion du meilleur et la réalité du pire.

Coffret regroupant les 13 premiers films du maître du documentaire :

MODEL (1980, 129 MN)
THE STORE (1983, 118 MN)
RACETRACK (1985, 114 MN)
ADJUSTMENT AND WORK (1986, 120 MN)
BLIND (1986, 132 MN)
DEAF (1986, 132 MN)
MULTI-HANDICAPPED (1986, 126 MN)
MISSILE (1987, 115 MN)
NEAR DEATH (1989, 358 MN)
CENTRAL PARK (1989, 176 MN)
ASPEN (1991, 146 MN)
ZOO (1992, 130 MN)
HIGH SCHOOL 2 (1994, 220 MN)