Le 24 juillet 2025
Un remarquable polar népalais qui rappelle ô combien la séparation entre les autorités judiciaires et le pouvoir exécutif est primordiale au nom de la démocratie. Un cinéma suffisamment rare pour ne pas le signaler.


- Réalisateur : Deepak Rauniyar
- Acteurs : Asha Maya Magrati, Nikita Chandak, Dayahang Rai, Reecha Sharma
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, LGBTQIA+
- Nationalité : Népalais
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 1h49mn
- Titre original : Rajagunj: Pooja, Sir
- Date de sortie : 23 juillet 2025
- Festival : Festival de Venise 2024

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Résumé : Quand deux garçons sont enlevés dans une ville frontalière du Népal, l’inspectrice Pooja est envoyée de Katmandou pour résoudre l’affaire. À son arrivée, les troubles politiques et les manifestations raciales la forcent à demander de l’aide à Mamata, une policière locale. En affrontant la discrimination et le sexisme, les deux femmes tenteront de résoudre l’affaire, mais à quel prix pour chacune d’elles ?
Critique : Être une femme flic au Népal ne doit pas être une chose simple, surtout quand on est homosexuelle et qu’on exerce dans un district du Népal qui revendique son indépendance à corps et à cris. Car derrière cet enlèvement crapuleux de deux gosses, dont l’un est le fils du député du gouvernement officiel, il se cache des intentions bien au-delà du seul désir d’argent. Pooja, Sir se résume ainsi en une ligne, et pourtant, il s’agit d’un film bien plus complexe que les apparences, où sont traitées, de façon spectaculaire, la situation méconnue du peuple népalais, la manière dont ce pays gère les discriminations et les formes de corruption qui étranglent la population.
Le récit est ainsi porté par l’officier Pooja qui partage sa vie auprès de la femme qu’elle aime, un père malade et un boulot difficile et contraignant. Elle arrive de la capitale du Népal pour résoudre cette affaire étrange d’enlèvement de deux enfants, en plein contexte de révolution populaire dans la province du Madhesh. On sait que ce pays est habité par des populations très hétéroclites en matière de langues, modes de vie et appartenances ethniques. Le gouvernement cherche par la réglementation à unifier la pays autour d’une identité commune, ce qui, ici, génère des conflits majeurs pour faire valoir les spécificités culturelles de chacune des régions. Les Madheshi sont sévèrement réprimés par les autorités, même si la loi de 2015 leur assure théoriquement une certaine autonomie administrative.
- Copyright 2024 Aadi Films. All rights reserved.
Ce long-métrage népalais est hélas revenu bredouille de la Mostra de Venise en 2024. Et pourtant, il y a dans ce récit la force d’un policier qui n’a rien à envier aux grands films américains, et celle du plaidoyer politique en faveur d’une démocratie à revivifier. Il s’agit donc autant d’un thriller que d’une œuvre à message connotée politiquement, qui apporte aux spectateurs néophytes une véritable information sur la situation du Népal. Les longs-métrages de cette région du monde, à part l’Inde, sont rares, et à ce titre le film mérite un regard plus particulier.
En même temps, le long-métrage ne souffre d’aucune faute de goût. Certes, l’intrigue est tortueuse, amenant le spectateur sur de nombreuses pistes qui se révèlent vaines. Deepak Rauniyar se plaît à perdre son public, et à cela s’ajoute la complexité culturelle à appréhender. Et pourtant, le rythme est fluide, énergique, de sorte qu’on ne perd pas un fil de l’histoire jusqu’à l’issue finale absolument stupéfiante. La mise en scène se veut exigeante, avec des acteurs convaincus et convaincants. L’actrice principale qui interprète l’enquêtrice homosexuelle est magistrale dans un rôle tout en nuances et complexités. Elle donne à voir la difficulté majeure pour une femme de prendre la place qu’elle mérite dans le corps de la police avec, en sus, de longues années à combattre les préjugés contre son identité sexuelle. Finalement, entre ces habitants qui revendiquent leurs spécificités linguistiques et sociales et cette femme qui doit composer avec son homosexualité dans un univers professionnel très masculin, Pooja, Sir est un film réussi sur les méandres de l’identité sociale et personnelle.
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L’affiche avec le personnage principal à l’allure décidée et moins féminine que masculine suggère tout de cette histoire crapuleuse d’enlèvement d’enfants. Mais en réalité, le trouble ne surgit pas du kidnapping en lui-même que des raisons de ce passage à l’acte délinquant par ceux qui l’ont commis. On découvre des fonctionnements institutionnels et administratifs encore pétris des rapports de domination hérité d’un système de castes où certains êtres humains n’ont pas beaucoup de considération.
Voilà donc une surprise étonnante sur nos écrans français qui mérite qu’on s’y arrête deux fois, plutôt qu’une. L’occasion est donnée pour aller à la découverte du Népal, du point de vue des populations minoritaires. Et sans doute Pooja, Sir nous invite à réfléchir sur notre propre modèle sociétal où la reconnaissance des femmes dans le corps de la police a pu être comparable à ce qui est décrit au Népal.