Rapaces - Peter Dourountzis - critique

LIRE NOTRE INTERVIEW DU RÉALISATEUR

Critique : En 2020, Peter Dourountzis réalise Vaurien, son premier long-métrage. Il y scrute la double personnalité d’un quadragénaire marginalisé et peu recommandable qui, grâce à son charisme, parvient à donner confiance et pénétrer toutes les strates de la société. Un thriller efficace marqué par une mise en scène sobre et une absence de voyeurisme qui font, à nouveau, tout l’intérêt de ce deuxième film, inspiré par le meurtre d’Élodie Kulik, cette jeune banquière retrouvée morte dans la Somme en 2002, après avoir été violée puis brûlée.

Copyright Zinc.

La découverte du corps d’une jeune femme au visage ravagé par l’acide sert de trame à cette enquête journalistique qui pourrait bien ressembler à tant d’autres. Prenant sans doute conscience que cette victime violemment assassinée aurait pu être sa fille, Samuel (Sami Bouajila) entend bien découvrir toute la vérité, au-delà de ce que le journal à sensation qui l’emploie attend de lui. Pour ferrer immédiatement le spectateur, il est tentant de l’abreuver de scènes sanglantes ou anxiogènes. Ici, plutôt que l’esbroufe, c’est l’introspection qui domine, avec des personnages constructifs, riches de nuances tout interrogeant avec finesse sur la définition du mot « rapaces ». S’agit de ces journalistes prêts à tous les compromis pour extorquer une information lucrative à la famille de la victime ? De ces hommes incapables de résister à leurs pulsions primaires ? Des lecteurs avides de voyeurisme ? Ou de la société toute entière qui n’a de cesse d’attiser les instincts les plus bas ? De la même manière qu’il se garde bien d’apporter un avis, notre spécialiste ès suspense tient la violence à distance. Aucune image insoutenable ne viendra hanter les esprits. Une bande-son suggestive servira largement à rendre compte de l’horreur, distillant ainsi à juste dose suspense et émotion. Sans rien brusquer, la tension s’installe doucement jusqu’à cette scène de restaurant d’une terrifiante intensité, de celle qui, à coup d’échanges aiguisés et d’expressions épouvantées, monopolisent toute l’attention.

Copyright Zinc.

Un moment de grâce qui fait oublier l’inconsistance de la première partie parasitée par une enquête secondaire, dont le but principal est de mettre en avant de manière quelque peu artificielle le travail d’Ava (Mallory Wanecque), en apprentissage auprès de son père, sans imaginer que ces tergiversations sur la direction à adopter ouvrent la porte à un début de désintérêt. Si la relation Bouajila/Wanecque fonctionne, la nature de leur relation, juste posée là pour aérer l’ignominie du crime, manque de profondeur. Dommage qu’elle n’ait pas été davantage exploitée car l’admirable performance de la jeune actrice, tout au long du film, laissait présager de beaux moments. Les rôles secondaires, de Jean-Pierre Darroussin à Stefan Crepon en passant par Valérie Donzelli, invités à nous faire découvrir les coulisses d’un hebdomadaire de faits divers, remplissent honorablement leur tâche.
Malgré ses imperfections, Rapaces peut se ranger dans la catégorie des polars de qualité, d’autant qu’il se double d’une observation pertinente sur notre monde, ses écarts médiatiques, sa violence et même les rapports familiaux.