Le 14 mai 2025
Sinistre et magnifiquement filmé, ce thriller sur fond de misère sociale et sexuelle est à la fois glaçant et fascinant à la fois. Une vraie réussie pour un premier film.
- Réalisateur : Sven Bresser
- Acteurs : Gerrit Knobbe, Loïs Reinders
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Thriller
- Nationalité : Néerlandais
- Distributeur : The Jokers
- Durée : 1h52mn
- Titre original : Rietland
- Festival : Festival de Cannes 2025
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– Festival de Cannes 2025 : Semaine de la Critique, En compétition
Résumé : Lorsqu’il découvre le corps sans vie d’une jeune fille sur ses terres, Johan, fermier solitaire, est submergé par un étrange sentiment. Alors qu’il s’occupe de sa petite-fille, il se lance à la recherche de la vérité, déterminé à faire la lumière sur ce drame. Mais le mal se cache parfois derrière les apparences les plus ordinaires...
Critique : Il a fallu attendre presque dix ans pour que la sélection de la Semaine de la Critique cannoise accepte de porter sur les écrans un film néerlandais. Nous voilà devant un récit pour le moins glaçant, celui d’un paysan âgé ne parvenant pas à s’extraire des vieilles méthodes de culture, et qui retrouve dans ses champs le corps violé et assassiné d’une toute jeune fille. Le choc est d’autant plus important pour lui qu’il accueille régulièrement sa propre petite fille qui pourrait ainsi subir l’assaut de ce tueur que la police ne parvient pas à retrouver.
Reedland est un premier film. On s’étonne d’ailleurs de la maîtrise du réalisateur qui parvient à restituer l’ambiance poisseuse d’un bout perdu de polders néerlandais où l’ancien monde tente de cohabiter avec les nouvelles manières de produire et de tirer profit des terres. Les politiques européennes, les lois brandies par les gouvernements hollandais successifs, s’accordent mal avec la vie de ces habitants, d’une très grande simplicité, plus attentifs à la préservation de savoir-faire traditionnels qu’au gain à tout prix. Le crime qui survient dans ces paysages sinistres s’entoure d’une série d’étrangetés qui apportent au récit une résonance toute particulière, bien au-delà du simple polar. Il réveille les antagonismes qui règnent entre les générations et les haines qui se nouant entre les individus terrifiés à l’idée d’être dépouillés de leurs baux ruraux.

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Le récit policier ne demeure finalement qu’une sorte d’opportunité narrative pour rentrer dans la psychologie contrastée et brumeuse du héros, Johan. Le vieil agriculteur est seul, sa femme est décédée et il ne lui reste plus que les mains pour s’adonner à la prière et à des activités érotiques devant son ordinateur. Alors, bien sûr, le doute finit par planer sur lui, même si tout porte à croire que l’agression aurait pu être commise par le fils d’un voisin.
Le film est une leçon de cinéma sur le cadrage et la bande-son. Le générique s’ouvre sur un écran noir, hanté par une musique sinistre qui rompt immédiatement avec des champs lumineux de blés jaunes. Mais il ne faut pas se tromper. La très belle photographie de ces territoires aqueux ne parvient pas à cacher la brutalité des rapports sociaux, et surtout la misère économique et sexuelle qui commence peu à peu à ronger les habitants de ces territoires isolés. Le film de Sven Bresser fait honneur à la culture agraire qui se morfond dans la désertification progressive des campagnes et perd peu à peu toute forme d’espoir. Le protagoniste engage sa propre enquête devant le piétinement des autorités policières, réveillant ainsi des haines enfouies que les réformes successives en matière de politique agricole avaient générées.

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Le long-métrage fait montre d’une intelligence redoutable. Jusqu’au bout, le réalisateur ne résout aucune des pistes qu’il sème subrepticement avec son héros qui s’invente un habit de policier. Le récit mêle volontairement des traversées en bateau des polders, et des énigmes comme cette mystérieuse pierre noire qui ressemble à un météore et aurait pu servir d’arme du crime, ou encore ce liquide noir qui s’extrait de la terre et ressemble à du pétrole. La narration avance par petites touches impressionnistes, mais dans une langue cinématographique totalement renouvelée. On est loin d’un cinéma bourgeois, conformiste, des écoles de cinéma, bien que le réalisateur ait été formé dans une institution de cinéma. L’œuvre avance au rythme suspendu de ces territoires perdus, et fond dans un brouillard inintelligible.
Reedland est une très grande surprise de la Semaine de la critique 2025. Le film balaye une nouvelle façon d’envisager le polar ou le thriller dans une matière moins policière que psychologique. On a là devant nous l’étoffe d’un grand réalisateur, Sven Bresser, dont on est déjà certain que ses films viendront demain nourrir la sélection officielle cannoise.



















