Le 7 février 2024
Saltburn frappe par la force saisissante de certaines séquences, qui brillent par leur excès baroque, mais laissera circonspect le spectateur de plus de vingt ans.
- Réalisateur : Emerald Fennell
- Acteurs : Richard E. Grant, Rosamund Pike, Reece Shearsmith, Carey Mulligan, Barry Keoghan, Jacob Elordi, Archie Madekwe, Alison Oliver
- Genre : Comédie dramatique, Thriller, LGBTQIA+
- Nationalité : Américain
- Durée : 2h07mn
- VOD : Prime Video
- Date de sortie : 22 décembre 2023
- Plus d'informations : Le site de Prime Video
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– Sortie VOD : 22 décembre 2023
Résumé : L’étudiant Oliver Quick, qui peine à trouver sa place à l’université d’Oxford, se retrouve entraîné dans le monde du charmant et aristocratique Felix Catton, qui l’invite à Saltburn, le vaste domaine de sa famille excentrique, pour un été qu’il n’oubliera pas de sitôt.
Critique : Arrivé en France sur Prime Video auréolé d’un parfum de scandale, Saltburn est devenu auprès de la jeunesse un phénomène TikTok consistant à se filmer en train de regarder certaines des séquences les plus trash du nouveau long-métrage de la cinéaste britannique Emerald Fennell.
S’il faut sans doute se réjouir de voir que le septième art conserve le pouvoir de traumatiser les foules et saluer la force saisissante de certaines séquences qui brillent par leur excès baroque, le spectateur de plus de vingt ans ne ressort pas moins circonspect du visionnage de Saltburn. Et, bien plus que « choc » ou « effroi », le mot qui qualifie le mieux le film est : « confus ».
Après une introduction en voix off au montage clipesque qui fait penser aux bumpers des bandes-annonces contemporaines, nous rencontrons Oliver (Barry Keoghan). Nouvel étudiant à l’université d’Oxford, pas très beau ni très social, il contemple de loin et avec envie le groupe des étudiants cool présidé par le sublime Felix (Jacob Elordi). En plus d’un physique d’Apollon, celui-ci est à l’aise en toutes circonstances. Il est surtout le fils d’aristocrates fortunés. Par un coup de chance initial et quelques ruses, Oliver parvient à se lier d’amitié avec Felix. Lequel devient progressivement objet du désir du protagoniste. Et Oliver de se faire inviter dans la superbe demeure familiale de Saltburn pour l’été.

- Jacob Elordi, Barry Keoghan
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Une fois cette introduction passée, le vrai malaise provient des multiples postulats narratifs que le film adopte successivement. D’abord romance gay sur fond de lutte des classes (on pense pas mal au Tom Ripley joué par Matt Damon chez Minghella), le personnage d’Oliver change (trop) subitement au tiers du film. Il se transformer en séducteur tous azimuts qui dompte de son sexe tous les membres de la maison : là nous sommes en plein Théorème de Pasolini. Pour finalement tomber dans un jeu de massacre macabre et attendu, sur lequel se clôt le film.
Emerald Fennell a certes le mérite de se renouveler en cours de route, mais dans cette narration par à-coups, la réalisatrice trouve surtout matière à se contredire sans cesse. Rien ne fait sens. D’abord très prompte à croquer avec un joli sens du grotesque une aristocratie fin de race qui fascine autant qu’elle dégoûte, elle montre pourtant le beau Felix comme un individu gentil et sans failles à qui on aurait bien du mal à reprocher quoi que ce soit. L’aspect trop lisse du personnage est d’autant plus incongru que, pendant la moitié du film, il est dépeint dans les dialogues des autres comme une mante religieuse qui joue avec ses admirateurs avant de les recracher broyés. Inadéquation totale entre ce que le film dit et ce qu’il montre.
L’attention que le pauvre Oliver porte à Felix est tout aussi incompréhensible. Que d’images chocs pour rabâcher le désir dévorant du premier pour le second : en tête, un gros plan à la blancheur très esthétisée où Oliver lèche dans le siphon de la baignoire l’eau du bain dans laquelle Felix vient de se masturber. Pourtant, à aucun moment ce désir ne semble être le motif, ni entrer en considération, dans le plan meurtrier d’Oliver pour posséder la demeure de la famille de Félix, qui semble préexister à la rencontre initiale entre les deux garçons.

- Jacob Elordi
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Oliver va donc tuer un par un les membres de la famille. Pour quelle raison ? Dans un premier temps, le film fait croire qu’Oliver en veut aux Catton pour leur argent. On apprend pourtant au milieu du film que celui-ci n’en manque pas. Une forme de jalousie indéchiffrable sert alors de motif à ses actions, lui donnant les atours d’un personnage monstrueux et froid, en opposition avec ce qu’il dégageait dans sa passion amoureuse. Pour un film qui, dans sa première partie, se réclame de la lutte des classes, on patauge dans un confusionnisme politique des plus embarrassants.
Ce allers-retours sans queue ni tête sont d’autant plus dommage qu’ils privent l’œuvre de sa force choc et formelle. Si à certains moments la mise en scène de Fennell colle trop à l’esthétique chic et toc des ultra-riches qu’elle veut dénoncer (un côté clip à la mode parfois agaçant), certaines séquences, par leur extrémisme baroque qui n’a pas froid aux yeux, font plaisir à voir. En comparaison de (Priscilla), le dernier biopic de Sofia Coppola, qui feint parfois de parler de sexe mais se bouche le nez dès qu’il faut en montrer le bout, il est heureux de constater ici que Fennell ose embrasser ce qu’il y a de plus sulfureux, sexuel et provoquant dans son sujet.
Ainsi, le long plan fixe à la beauté emphatique qui montre Oliver faire l’amour à la terre dans laquelle gît maintenant Felix est une réussite, pour qui n’est pas allergique à un certain lyrisme pompier. Mais la puissance potentielle de la scène est complétement gâchée par l’illogisme total de l’action. Au moment de ce qui est pourtant le plus beau plan du film, le détachement émotionnel qui découle de cette confusion synthétise l’échec d’Emerald Fennell. Loin du pamphlet vénéneux escompté, Saltburn sonne juste creux.
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